Duplessis a décidé d'aborder deux thèmes : l'autonomie et l'enseignement.
L'Association des Diplômés de l'Université de Montréal et la Chambre de commerce des Jeunes de Montréal ont relancé le débat sur les subventions aux universités. L'Association des Diplômés suggère la formation d'une fédération des associations de diplômés, sorte de pendant de l'Association des Universités canadiennes, qui distribuerait les subventions fédérales. La Chambre de commerce des Jeunes suggère la formation d'une commission provinciale des universités et des collèges, qui répartirait les subventions fédérales et provinciales. La réforme de l'enseignement est aussi à l'ordre du jour. On en discute dans les associations d'instituteurs. De jeunes ministres comme Yves Prévost et Jean-Jacques Bertrand pensent qu'il serait temps de faire évoluer l'enseignement dans la province - ou d'accélérer son évolution. Si l'on entend par là, une orientation vers le commerce et vers les sciences, Duplessis en est, sans hésiter. Mais les anticléricaux ont depuis toujours pris la réforme de l'enseignement comme cheval de bataille. Une série d'incidents laisse prévoir, de leur part, une nouvelle offensive. Aux États-Unis se mène une campagne pour substituer l'hymne national à la prière, au commencement des classes. Le Toronto Star a publié, en deux éditoriaux, une longue entrevue avec un rabbin, qui souhaite l'abolition de l'enseignement religieux dans les écoles. À Montréal, Jean-Louis Gagnon exprime ou paraît exprimer le même souhait. Et le principal de l'Université McGill, rentrant d'un voyage en Russie, vante l'enseignement - athée - dispensé dans ce pays. Serait-ce un concert orchestré ? Les instituteurs et à plus forte raison les jeunes ministres qui souhaitent une évolution de l'enseignement n'ont pas d'arrière-pensées. Mais Duplessis croit déceler l'action des mangeurs de curés derrière les réformateurs de bonne foi. Le discours de Bersimis est une· défense de l'autonomie - ou une attaque contre les centralisateurs - et une défense de la confessionnalité scolaire - ou une attaque contre les réformateurs « aux idées plus que nuancées ».
Les subventions offertes aux universités et aux collèges préparent un assaut fédéral à tout le domaine de l'enseignement, primaire compris. « La province de Québec doit conserver ses droits en matière d'éducation. Le gouvernement fédéral - celui d'aujourd'hui comme celui d'hier - a tendance à pénétrer dans le domaine éducationnel. Ses octrois sont puisés à même l'argent qui nous a été enlevé ... Nos écoles dans la province de Québec sont basés sur le système confessionnel. Il n'y a pas d'éducation possible si elle n'est pas basée sur la religion ... Nous avons dans là province de Québec un système scolaire qui rend justice à toutes les minorités, et nous ne mettrons pas cette tradition de côté... Dans la province de Québec, tant que celui qui vous parle sera premier ministre, l'enseignement sera confessionnel... »
Duplessis a le visage fatigué. Au début, l’œil est moins clair, les mouvements sont moins nets ; mais l'orateur s'anime, une fois son discours entamé. La voix est alors bien timbrée, le débit bien assuré. Duplessis parle sans notes. Il exprime la profonde conviction que son père lui a transmise et que presque tous ses compatriotes ont reçu, comme lui, dans leur héritage. Il fait appel à tous :
C'est un coup de clairon que je sonne aujourd'hui, non pas comme chef de l'Union nationale, mais comme premier ministre de la province de Québec, ayant une expérience assez considérable et pouvant déclarer en toute franchise, sans arrière-pensée, que si bien du monde aime leur province autant que je l'aime, personne n'aime la province de Québec plus que celui qui vous parle ; et c'est pour cela que je vous dis, citoyens de Hauterive, du comté du Saguenay, qu'il faut de toute nécessité s'unir ; s'unir dans la revendication de nos droits ; s'unir contre les tentatives de neutralité scolaire ; s'unir contre les accaparements ... L'union de toutes les bonnes volontés est nécessaire pour que nos écoles continuent à se multiplier, pour que l'enseignement continue à s'inspirer de la lumière éternelle, qui ne s'éteint jamais et qui ne s'éteindra jamais, et pour que la province de Québec poursuive sa marche vers un progrès constant, de plus en plus considérable, dans le respect des droits de tout le monde, mais dans la ferme décision de sauvegarder les siens et de résister à tous les assauts, peu importe la couleur de ceux qui les font.
C'est à Bersimis, le 1er juin 1959. Le biographe pourra plus tard trouver à ce discours, aux aspects de profession de foi, une résonance pathétique de testament. Pour l'heure, journalistes et hommes politiques pensent que Duplessis a lancé, dans son « coup de clairon », le double thème de la prochaine campagne électorale. Jean Lesage vient à Baie-Comeau la semaine suivante, Il reproche au premier ministre de s'élever contre une menace inexistante à l'enseignement confessionnel : « M. Duplessis et sa clique ont décidé qu'il fallait frapper un grand coup pour faire croire au peuple de Québec qu'il existait un complot visant à l'abolition de l'enseignement de la religion dans les écoles de la province de Québec ... » Jean Drapeau tient une assemblée à Saint-Georges de Beauce. Il s'en prend au « régime Duplessis », chargé de toutes les tares et de tous les péchés : « Mensonge, hypocrisie, concussion ... » Il préconise la nationalisation « de tout ce qui prend un aspect d'important service public » et l'intervention de l'État « dans plusieurs secteurs de l'économie ».
-Robert Rumilly, Maurice Duplessis et son temps, tome II. Editions Fides. Montréal. 1973. p.693-695
[NDLR] : Pour compléter cet article, voici un extrait de son discours à Sainte-Anne-de-la-Pocatière en 1959. Visiblement, Maurice Duplessis avait assez de raisons pour croire que certains conspiraient pour abattre le système d'éducation confessionnel, qu'il en a fait allusion dans au moins 2 de ses derniers discours. 60 ans plus tard, les faits lui donnent raison.