(Texte de l'abbé Francesco Ricossa tiré de la revue Sodalitium numéro 66)
Un regard suffit. La noble figure du poète Ezra Pound impose le respect à quiconque
en contemple les traits. Ses chaînes
méritent davantage encore le respect. Le
poète qui chanta la beauté de l’Italie du
Moyen Âge et de la Renaissance, et qui
condamna l’usure, l’homme qui resta fidèle
tout en sachant que, humainement parlant,
il allait au devant de la défaite, ne peut que
susciter une instinctive admiration.
C’est précisément pour cela que j’ai
pensé qu’il était de mon devoir de mettre
en garde les catholiques fidèles à la tradition,
afin que le respect pour l’homme ne se
transforme pas en adhésion à la pensée
d’Ezra Pound.
Le militant catholique doit être catholique
: ni libéral, ni socialiste. Et si certains
– en matière économique – sont tentés par
les principes du libéralisme, d’autres n’évitent
pas les erreurs du socialisme, même
quand ils croient suivre une “troisième
voie”, mais qui n’est pas celle indiquée par
le magistère de l’Église (qui n’est pas la
troisième, mais bien celle qui précède les
deux autres). Parmi eux, très nombreux
sont ceux qui se réfèrent explicitement ou
implicitement, directement ou indirectement,
à la pensée, ou au nom d’Ezra
Pound. Ce n’est pas mon intention, ici,
d’examiner cette pensée. Je me limiterai
exclusivement à
informer nos lecteurs sur
les milieux dans lesquels cette pensée trouva
son origine culturelle, de sorte que, à
partir de la source on puisse mieux évaluer
le cours d’eau auquel nous devrions –
d’après certains – nous abreuver.
Dans ce but, me servira de guide le livre
de Luca Gallese,
Le origini del Fascismo di
Ezra Pound (Edizioni Ares, Milano, 2005),
qui peut être complété par
Il Dio di Ezra
Pound. Cattolicesimo & religioni del mistero
(Edizioni Ares, Milano, 2011), d’Andrea
Colombo. La maison d’éditions Ares est,
comme l’on dit, “proche de l’Opus Dei”, et
a une collection “poundienne”. Et les auteurs
sont des admirateurs d’Ezra Pound,
tant est si bien que l’ouvrage de Gallese
s’honore d’une préface de Giano Accame,
et celui de Colombo d’une introduction de Mary de Rachewiltz, la fille du poète.
Concernant les deux volumes cités, particulièrement
celui de Gallese, ils ne viennent
donc ni de sources hostiles au catholicisme
ni de sources hostiles à Pound. Pourtant, la
dette culturelle que Pound a à l’égard du
mouvement Théosophique du colonel Olcott
et de Madame Blavatski, et donc avec
le monde maçonnique et occultiste, est évidente.
D’où le titre de notre article.
La religion de Pound
Ezra Pound n’a jamais été catholique.
Né aux États-Unis, le 30 octobre 1885, dans
une famille protestante (“une race de pionniers,
puritains et quakers” COLOMBO, p. 17),
mère presbytérienne, père quaker pour des
motifs sociaux actif dans l’église baptiste (p.
127), Pound mourut à Venise le 1er novembre
1972 sans adhérer à aucune confession
religieuse, même s’il se considérait confucéen.
Sa fille témoigne : “je ne l’ai jamais vu
faire le signe de croix” (COLOMBO, p. 121).
Le livre de Colombo insiste beaucoup sur
les points de contact entre Pound et le catholicisme,
mais malgré tous ses efforts il
doit conclure : “en prenant en considération
l’hypothèse d’un Pound ‘catholique’ il faut
préciser que le poète est plus attiré par les éléments esthétiques, philosophiques et de politique
sociale du christianisme, que par le
message religieux en soi” (p. 119).
Pound en Angleterre (1908-1920)
C’est sur la période que Pound passe en
Angleterre – de 1908 à 1920 – que se
concentrent les recherches de Gallesi. C’est
là, dans la mouvance de la revue
The New
Age que Pound adhère aux théories économiques
du
guild socialism (socialisme des
guildes) du directeur A. R. Orage, et ensuite
au
Social Credit du major C. H. Douglas.
Pound lui-même reconnut dans la pensée de
Proudhon, Orage et Douglas les traditions
qui ont le plus contribué à sa formation
(GALLESI, p. 28). Pound arrive à Londres en
1908 avec des lettres de présentation “fournies
par son amie Katherine Ruth Heyman,
pianiste et passionnée d’occultisme” et désire
connaître celui qu’il considère comme le
plus grand poète vivant, William Butler
Yeats. Demetres Tryphonopoulos (
l’occulto. Le radici esoteriche dei Cantos.
Mediterranee, 1998) fait remonter (pp. 83
ss)
l’intérêt de Pound pour l’occulte à 1903-
1904, quand le très jeune poète rencontra sa
“Béatrice” en la personne de la
musicienne Katherine Ruth Heyman (1874-
1944), fille du violoniste juif Arnold Heyman
et d’une mère chrétienne. K. Ruth
Heyman était théosophe, astrologue, occultiste,
passionnée de Zen et Yi Jing, et “grande
prêtresse du culte de Scriabine”, c’est-à-dire
du compositeur russe Alexandre Scriabine
(1872-1915), autre adepte des théories de
Madame Blavatski. Déjà aux USA, donc,
Pound se passionna pour un monde qu’il
fréquenta ensuite de près à Londres.
Yeats et les deux Shakespear
|
William Butler Yeats |
Pound veut connaître William Butler
Yeats (1865-1939) : mais Yeats n’était pas
seulement “le plus grand poète vivant” et futur
prix Nobel, chantre du nationalisme irlandais
et des mythes celtiques. Yeats, qui
en 1888 avait adhéré à la
Société Théosophique,
était aussi, au moins depuis 1890, un
adepte de l’
Ordre Hermétique de l’Aube
Dorée (
The Hermetic Order of the Golden
Dawn) où le mage Aleister Crowley fut initié
en 1898. En 1900, Yeats était
Magister Templi de la
Golden Dawn avec pour nom
d’initié Frater D.E.D.I. (Dæmon est Deus
Inversus) : tout un programme ! Yeats ne
fut pas, pour Pound, une connaissance
superficielle ou passagère. Pound est introduit
auprès d’Yeats par Olivia Shakespear
(1863-1938, née Tucker), qui avait été
l’amante d’Yeats et qui pour Pound était
“la femme la plus fascinante de Londres”.
Olivia aussi est une occultiste initiée à la
Golden Dawn, et deviendra la belle-mère
de Pound,
puisque le jeune américain épousa
sa fille Dorothy (elle aussi passionnée de
chiromancie et d’astrologie). Après leur
rencontre en Angleterre en 1909, Yeats et
Pound nouèrent toujours plus une amitié
qui culmina dans les années 1913-1916, au
cours desquelles les deux poètes vécurent
ensemble à Stone Cottage. Nous savons que
Pound ne partageait pas les pratiques théurgiques
d’Yeats ; mais il est difficile de penser
qu’une si étroite proximité n’ait pas eu
une profonde influence sur Pound.
Les deux Bergson
|
Moina Bergson |
Avec Moina Bergson, sœur du très célèbre philosophe Henri Bergson, nous restons
dans la mouvance de la
Golden Dawn.
Plus encore, dans le cœur de cette société
magique et ésotérique. Mina Bergson
(1865-1928), dite Moina, fut en effet initiée
à la
Golden Dawn en 1888 et en épousa
l’un des fondateurs, le franc-maçon rosecroix
Samuel Liddell “McGregor” Mathers
(1854-1918) en 1890, devenant Moina Mathers.
Moina était une artiste et une actrice,
mais aussi une magicienne, au point
d’être suspectée de sortilèges ad mortem
contre des collègues. Plus prosaïquement,
elle se travestissait en prêtresse d’Isis pour
les messes égyptiennes de son mari, auteur
de l’œuvre
La Cabale dévoilée. Moina et
son frère philosophe appartenaient à la famille
juive polonaise des Bereksohn (avant
que le nom fût transformé en Bergson).
Apparemment, rien de commun entre la
vie de la sœur et celle du frère Henri Bergson
(1859-1941), l’austère philosophe de
l’“évolution créatrice” et de l’“élan vital”
qui déclara sa conversion au catholicisme
(en version moderniste) renonçant au baptême
uniquement par solidarité avec son
peuple persécuté. Pourtant Gallesi (pp. 31-
34) voit qu’il y a quelque chose en commun. Et avec Pound aussi : puisque c’est
leur ami commun Thomas Ernest Hulme
(1883-1917) – commun à Bergson et à
Pound – qui introduit Pound à la revue
The New Age, qui lui fait connaître Orage,
et lui inspire le nom de son mouvement littéraire,
l’Imagisme. Hulme est bergsonien,
et les théories du philosophe français
“
étaient très en vogue en ces années-là dans
les milieux intellectuels, radicaux et ésotériques. (…) Et c’est encore à la philosophie
bergsonienne, d’après G.D. H. Cole, que
l’on doit l’inspiration de la naissance et la
diffusion du féminisme, syndicalisme, unionisme
industriel et socialisme des guildes”.
Pound et Hulme fréquentaient la
Quest
Society de G. R. S. Mead (1863-1933), autre
occultiste, chercheur passionné du gnosticisme,
du néoplatonisme et de l’hermétisme,
membre depuis 1884 de la
Société
Théosophique. Mead quitta la Société
Théosophique, mais non ses théories, pour
fonder précisément la
Quest Society, qui
réunissait notamment les deux prix Nobel,
Tagore et Yeats, et le célèbre cabaliste
Gershom Scholem (p. 36). Faisant la recension
d’une conférence de Hulme à la
Quest Society, Pound écrit : “
L’introduction
des esprits, des divinités tribales, fétiches,
etc. dans les arts est donc un heureux
présage… Nous nous retournons, nous les
artistes, vers les puissances de l’air, vers les
esprits qui étaient nos alliés, les esprits de
nos aïeux. C’est à travers eux que nous
avons gouverné et gouvernerons encore
(…). La civilisation moderne a élevé une
race avec des cervelles de lapin et nous, qui
sommes les héritiers des sorciers et du vaudou,
nous les artistes qui avons été depuis longtemps méprisés, nous allons prendre le
pouvoir” (pp. 36-37).
A. R. Orage et le “Socialisme des Guildes”
|
A. R. Orage |
La pensée économique d’Ezra Pound
est redevable au “
Guild Socialism” d’Orage,
et au “
Social Credit” de Douglas. La tribune
de ces théories fut le journal
The New
Age. Essayons d’en savoir plus, en commençant
par Alfred Richard Orage (1873-
1934). En 1894, il devient socialiste, en
adhérant au
Parti Travailliste Indépendant.
En 1896, il épouse Jean Walzer, grâce à qui
il s’affilie à la
Loge de Leeds de la Société
Théosophique et se rapproche de la spiritualité
hindoue : le poème épique
Mahabharata
devient pour lui “un des textes fondamentaux
– avec l’œuvre de Platon et de
Nietzsche – de toute sa vie” (GALLESI, p.
117). Au cours de ces mêmes années il se
noue d’amitié avec A. J. Penty († 1937) et
Holbroock Jackson, eux aussi théosophes
et socialistes. Ils fondent tous les trois le
Leeds Art Club, qui accueille en même
temps la
Fabian Society et la
Société Théosophique
(p. 77). C’est Jackson qui introduit
Orage à la pensée de Nietzsche, tandis
que Penty rêve d’un retour aux Guildes et
aux corporations médiévales, qui intéressent
les Théosophes (et les francs-maçons,
qui se disent les héritiers des anciennes corporations)
(pp. 7 et 118).
En 1906, à Londres,
Penty et Orage fondent la
Guild Restoration
League et en 1907, Orage fonde
avec Jackson le
Fabian Arts Group. C’est le
moment où les deux nietzschéens, Jackson
et Orage, reprennent le journal socialiste
The New Age. Les financiers sont l’écrivain
George Bernard Shaw et le banquier
Lewis Fallace, lui aussi affilié à la
Société
Théosophique. Il n’est pas seul : d’autres
théosophes collaborent comme Florence
Farr (1860-1917, adepte de la
Golden Dawn depuis 1890 à la suite d’Yeats), P. D.
Ouspensky (correspondant de la Russie et
depuis 1915 disciple de Gurdjieff), L. Haden
Guest, “Beatrice Hastings” (Emily
Haig 1879-1943), amante de Modigliani et
de Katherine Mansfield, mais aussi d’Orage,
dont il dénoncera par la suite les pratiques
de magie noire (pp. 128-129) et sa
dépendance d’Aleister Crowley. La même
Katherine Mansfield écrivit sur
The New
Age que pour elle Orage est celui qui lui
“enseigna à écrire et à penser” et “lui montra
ce qui devait se faire et ce qui devait être
évité” (p. 161). K. Mansfield, elle aussi célèbre écrivain, connut Crowley – expérimentant
ses drogues – comme l’atteste John Symonds
(Aleister Crowley.
La Bestia 666.
Ed. Mediterranee, p. 258), mais, surtout, elle
suivit le Mage Gurdjieff qui mourut en
1928 au Prieuré d’Avon, près de Fontainebleau,
siège de son
Institut pour le développement
harmonieux de l’Homme en 1928.
Orage également, après l’expérience de
The New Age, devint pour longtemps disciple
déclaré et enthousiaste de Gurdjieff
(1872-1949), connu par le déjà cité Piotr D.
Ouspensky (cf. Paul Beekman
Taylor,
Gurdjieff e Orage, Fratelli in Elisio, Edizioni
Mediterranee), en déménageant exprès
en France. “Pound avait une bonne opinion
de Gurdjieff, qui deviendra le Maître spirituel
d’Orage” (p. 129). Gianfranco De Turris,
dans l’introduction italienne au livre de
Taylor (p. 10), écrit : “
Orage, à travers les
théories du Crédit Social du Major Douglas, fut une espèce de charnière entre les idées
économiques de Pound et l’ésotérisme de
Gurdjieff. (…) Taylor démontre comment
étaient très répandues dans ce milieu intellectuel
la recherche d’une ‘troisième voie’
économique et la propension à l’ésotérisme…”.
Ce n’est pas par hasard si, de nos
jours encore, le journaliste et essayiste
Maurizio Blondet, qui actualise la pensée
de Pound, ne cache pas le rôle des écrits
d’Ouspensky et Gurdjieff dans sa “conversion”
(
Gurgjieff e la luna). Ainsi, de la
Théosophie à Gurdjieff, toute la vie et la
pensée d’Orage passèrent sous l’étoile de
l’ésotérisme et de l’occultisme.
Pound collabora
à la revue d’Orage, The New Age,
pendant dix ans, de 1911 à 1921, y publiant
près de trois-cents articles (p. 159).
C. H. Douglas et le Crédit Social
Clifford Hugh Douglas (1879-1952) est
le principal représentant des théories économiques
sur le “Crédit Social”, qui furent
rendues publiques pour la première fois, en
1919, précisément sur la revue de A. R.
Orage,
The New Age. Tant Orage que
Pound adhérèrent aux théories économiques
du Major Douglas, que Pound rappellera
à plusieurs reprises dans les Cantos.
Mais dans la figure de Douglas voyaient-ils
et admiraient-ils seulement l’économiste,
ou plutôt le “réformateur religieux et politique”
(p. 246) ? Le Major Douglas était
aussi un occultiste. Demetres Tryphonopoulos
écrit dans
Pound e l’occulto. Le radici
esoteriche dei Cantos (Ed. Mediterranee,
1998, introduction de Luca Gallesi) :
“
Même si Pound n’avait pas été intéressé,
quelqu’un d’autre, dont le nom est étroitement
lié à ceux de Pound et Orage, était attiré
par la forme d’occultisme de Mitrinovic.
Je me réfère au Major Douglas. Quand, au
début des années Trente, Mitrinovic fonda le
mouvement New Britain (“engagé pour une
société fonctionnelle, guildes, crédit social,
système d’assistance, une fédération européenne,
le triple Commonwealth de Rudolph
Steiner, et une restauration du Christianisme”),
le Major Douglas était une des
personnes impliquée” (p. 123, note 99). La
référence concerne l’ésotériste bosniaque
Demetrio Mitrinovic (1887-1953), lui aussi,
entre autres, collaborateur de
The
New Age.
La Société Théosophique
|
Helena Blavatsky |
Arrivés à ce point, il est nécessaire, pour
qui n’a pas la moindre idée de ce qu’est la
Société Théosophique que nous avons vu
apparaître partout dans les milieux fréquentés
par Pound, de dire deux mots sur elle.
La Société Théosophique fut fondée à New
York, en 1875, par dix-sept membres fondateurs,
tous liés de quelque manière à la
Franc-Maçonnerie et aux études ésotériques. Parmi eux, deux américains, le premier
président de la Société, le colonel Henri
Steel Olcott (1832-1907) et William Quan
Judge (1851-1896), ainsi que la noble russe
Helena Petrovna von Hahn, connue – par le
nom de son mari – sous le nom de Madame
Blavatsky (1831-1891). À la tête de la section
ésotérique, succéda à Madame Blavatsky,
en 1891, l’anglaise Annie Besant (1847-
1933) qui, à la mort d’Olcott, devint seconde
présidente de la Société. La “papesse”
des Théosophes, Annie Besant, avait été
membre de la
Fabian Society, et est l’un des
principaux représentants du mouvement féministe. Le président de la section allemande,
Rudolf Steiner (1861-1925), fondateur
de l’Anthroposophie, se sépara de la
Société
Théosophique.
La Théosophie se réclame
dans son nom à la philosophie néoplatonicienne
et au gnosticisme, de même qu’aux
antiques religions des mystères ; mais dès le
début elle s’orienta vers les religions orientales,
en répandant la passion pour l’Inde et
le Tibet. Olcott et Blavatsky se dirent bouddhistes
mais, comme le rappelle A. Besant,
“Le lien d’union entre les membres de la
Société
Théosophique n’est pas une croyance
commune, mais plutôt une commune recherche
de la vérité” (on dirait le programme de
la réunion ratzingérienne d’Assise ‘pèlerins
de la vérité’ !). Dans la Théosophie, le rôle
féminin et l’empreinte anglo-indienne sont
importants. L’idée de fond est celle de l’unité
ésotérique de toutes les religions, apanage
des initiés. Cela, au moins, pour la façade.
La réalité, on la trouve, par exemple,
dans ces mots de Madame Blavatsky : “Le
grand Trompeur” n’est pas le “tant calomnié
Satan” mais “le Démiurge anthropomorphisé,
le Créateur du Ciel et de la Terre” (cit.
par Roberto Hack – le père théosophe de
Margherita Hack –
Le origine del movimento
Teosofico, Trieste 1971, pp. 216-217).
Théosophie, Fascisme et Antifascisme
L’adhésion d’Ezra Pound au Fascisme
fait suite à ses fréquentations des milieux
théosophiques. À première vue, le soutien
au Fascisme de la part de quelqu’un qui a
fréquenté d’aussi près les milieux ésotériques pourrait sembler contradictoire.
Mussolini, en effet, soutint d’abord l’incompatibilité
entre l’appartenance à la
Franc-Maçonnerie et l’appartenance au
Parti Socialiste. Par la suite, en 1923, le
Grand Conseil du Fascisme – sous l’impulsion
des Nationalistes – décréta l’incompatibilité
entre l’appartenance à la Franc-Maçonnerie
et l’appartenance au Parti Fasciste.
En 1925, la loi sur les Associations (qui
interdisait les sociétés secrètes) aboutit de
fait à la dissolution des deux principales
obédiences maçonniques : celle de Palazzo
Giustiniani, qui organisa à l’étranger, spécialement en France, l’antifascisme et celle
de Piazza del Gesù (qui déclara que le Fascisme,
en réalisant ses propres fins, avait
rendu inutile leur société). En Italie, la Maçonnerie
ne put se réorganiser qu’à la chute
du Fascisme, favorisée par les vainqueurs
anglais et américains. Entre 1925 et 1926, il
y eut quatre attentats à la vie de Mussolini :
celui de Zaniboni, dans lequel fut impliqué
le général franc-maçon Capello, celui de
l’anthroposophe anglaise Violet Gibson, et
ceux de Lucetti et Zamboni ; dans tous il y a une trace ésotérique et, il paraît que dans
celui de V. Gibson fut impliqué l’ancien ministre
anthroposophe, le Duc Giovanni Antonio
Colonna di Cesarò (fils d’Emmelina
Sonnino De Renzis, elle aussi théosophe,
sœur de Sidney Sonnino, et membre du
Groupe d’Ur d’Evola et Reghini). Colonna
di Cesarò fut un des protagonistes de
l’
Aventin. Par ailleurs, des équipes fascistes
frappèrent en 1925 l’homme politique antifasciste
Giovanni Amendola – théosophe et
franc-maçon – qui mourut l’année suivante
suite aux coups reçus.
Le gouvernement
italien n’eut aucun respect pour le Mage
Crowley quand, en 1923, il l’expulsa de Cefalù
et le renvoya dans sa patrie, l’Angleterre,
d’où la ‘papesse’ de la Théosophie, Annie
Besant, attaquait le régime mussolinien
ennemi de la démocratie. Pourtant, il existe
aussi l’autre aspect, pour lequel je renvoie
le lecteur à deux ouvrages significatifs :
Massoneria, Fascismo e Chiesa Cattolica de
Gianni Vannoni (Ed. Laterza, 1980) et
Esoterismo
e Fascismo, publié par Gianfranco
de Turris (Ed. Mediterranee, 2006). L’historien
de la Franc-Maçonnerie, Aldo Alessandro
Mola, y énumère les noms de frères
maçons qui furent aussi des partisans fascistes
: Giacomo Acerbo, Michele Bianchi,
Alessandro Dudan, Italo Balbo, Achille
Starace, Giovanni Marinelli et probablement
Emilio De Bono (qui se servit du maçon
Dùmini pour le crime Matteotti), Cesare
Rossi, Edmondo Rossoni, Roberto Farinacci,
peut-être Dino Grandi (Vannoni en
est certain, comme pour De Bono, Cesare
Maria De Vecchi et Giuseppe Bottai), Massimo
Rocca, Alberto Beneduce et alibi aliorum
plurimorum. Tous ceux-ci restèrent –
en sommeil – aux sommets du nouveau régime, pour ensuite choisir qui la chute du Duce, en 1943 (comme Grandi, De Bono,
Marinelli, De Vecchi), qui l’aventure de la
RSI, comme Farinacci. Et ne parlons pas
des militaires… Parmi les syndicalistes révolutionnaires et les fiumani de D’Annunzio
(y compris le Vate), les francs-maçons
qui préparèrent soit le Fascisme soit l’antifascisme
(tel Alceste De Ambris) furent
très nombreux, ainsi que parmi les futuristes
(dont le maçon théosophe pythagoricien
Arturo Reghini, appartenant à l’O.T.O., ne
fut pas le dernier).
L’autodissolution des
Loges maçonniques n’impliqua pas les
clubs services, comme le
Rotary, ni les Sociétés
Théosophiques (jusqu’en 1939), ni
l’Anthroposophie (jusqu’en 1941). La lutte
contre la Maçonnerie fut donc superficielle,
sans remonter aux principes, et ce, même
dans le cas de l’ex-prêtre Giovanni Preziosi
– le plus hostile à la Maçonnerie – qui faisait
cependant collaborer à sa revue
Vita
italiana les ésotéristes René Guénon, Julius
Evola, Massimo Scaligero (alias Antonio
Massimo Sgabelloni, anthroposophe, disciple
de Giovanni Colazza, qui fréquentait la
même Loge théosophique qu’Amendola et
Colonna di Cesarò) et Guido De Giorgio.
L’antimaçonnisme de Preziosi ne peut donc
être confondu avec celui des catholiques intégraux,
comme Mgr Benigni, qui s’opposa
toujours à tout type de secte et d’ésotérisme.
En guise de conclusion
Avec ce petit article, je n’entends certes
pas rejoindre les geôliers d’Ezra Pound…
Je considère cependant – comme il est dit
au début –
que le catholique militant ne
doit pas se laisser entraîner par de dangereux
syncrétismes doctrinaux. Il y en a qui
pensent que les “libres penseurs” de Casa
Pound (auxquels peut-être, comme disait le
franc-maçon Reghini des autres maçons, il
manque d’être libres et d’être penseurs) se
glorifient abusivement du nom de Pound ;
peut-être, au contraire, ne sont-ce pas eux
qui se trompent sur ce point, mais les catholiques
poundiens ! En matière sociale
(et Pound n’aurait pas émis d’objection)
une bonne formation de base peut se trouver
dans les encycliques pontificales, comme
– entre autres – Rerum novarum de
Léon XIII et Quadragesimo anno de Pie
XI ; pour qui en a les capacités et veut
Benito Mussolini avec des dignitaires fascistes parmi
lesquels : Emilio De Bono, Italo Balbo, Michele Bianchi,
Cesare Maria De Vecchi et Achille Starace
avoir une formation plus approfondie,
l’Église indique la voie de saint Thomas :
Ite ad Thomam. Gardons-nous au contraire
des maîtres à penser qui se sont abreuvés
aux sources enchanteresses du monde trouble
des sectes initiatiques (qu’elles soient
anglo-saxonnes – comme dans le cas pré-
sent – ou indigènes).