mardi 16 janvier 2018

Les prémices de Vatican II

Pour comprendre le Concile Vatican II, son esprit et ses réformes, il faut un minimum de repères historiques sur le libéralisme. Car : « le problème des années soixante était d'acquérir les meilleures valeurs exprimées de deux siècles de culture "libérale". Ce sont en fait des valeurs qui, même si elles sont nées en dehors de l'Eglise, peuvent trouver place, épurées, corrigées, dans sa vision du monde. C'est ce qui a été fait. » [NDLR : citation de Joseph Ratzinger]

Voici donc quelques notions et événements clés.

Le Libéralisme est la pensée moderne issu des principes de 1789. Selon ces principes, l'homme est libre d'agir sans contrainte aucune et dans une autonomie totale. La dignité de l'homme résiderait dans cette liberté absolue, sans fin et sans frein.

Le Pape Pie VI a, dès 1791, condamné cette théorie, contenue dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, comme « absurde », « chimérique » et « contre-nature ».

Cet esprit révolutionnaire de liberté et d'égalité s'est incarné dans l'esprit démocratique qui n'est que « l'élection du père de famille par les enfants. C'est donc l'extrémité de la démence. C'est l'immolation frénétique, systématique et mille fois insensée de la Qualité par la Quantité, par conséquent la course de plus en plus enragée vers l'Inqualifiable. »

« Partout la fausse liberté et la révolution s'annoncent, et je viens, proclamait Blanc de Saint-Bonnet, avec ma conscience seule, combattre la Révolution ! Fondée sur des chimères et soutenue par l'imposture, elle conduit les peuples à leur perte et l'humanité à sa fin. [...] Il n'y a que deux lois au monde : la loi de la nature, dans laquelle les espèces supérieures mangent les espèces inférieures ; la loi divine, dans laquelle les êtres supérieurs secourent les êtres faibles. Vous prendrez toujours l'une ou l'autre. Si la loi de charité voit sa source tarie en nos cœurs, la loi de l'animalité nous reprendra de vive force. En dehors du christianisme, l'homme est toujours anthropophage [...]. Dès qu'il n'est plus au sien des âmes une Vérité souveraine, produisant des croyances communes, d'où dérivent des devoirs communs, mais au contraire, des opinions individuelles, relevant de la souveraineté de chacun, il ne saurait exister aucune société de droit parmi les esprits. »

Quarante ans plus tard, malgré ces évidences, certains catholiques prétendirent qu'il était temps de faire la paix avec la Révolution. Ils essayèrent alors de concilier d'une part la pensée moderne qui idolâtre la liberté en révolte contre les droits de Dieu et de l'Eglise, avec d'autre part la pensée catholique qui est la parfaite soumission de tout l'ordre créé à la volonté divine. Cette prétention utopique revenait à prétendre que l'erreur d'hier, puisqu'elle triomphait, pouvait bien, quelque part, être la vérité d'aujourd'hui. Désormais, l'ambition de certains catholiques était de paraître aussi démocrates que les Jacobins les plus criminels ou les plus insensés, et cela, ô indicible misère, passait pour être le comble de l'habileté...

Le Pape Grégoire XVI, en 1832, dut intervenir pour condamner solennellement, par l'encyclique Mirari Vos, « ce prétendu devoir qu'on a de procurer et de garantir à chacun la liberté de conscience ». Il déclarait « cette maxime fausse et absurde ou plutôt un délire » et avertissait que « cette liberté absolue et sans frein des opinions aplanit la voie pour la ruine de l'Eglise et de l'Etat. » Enfin, il reprochait aux novateurs téméraires (le prêtre Lamennais et ses amis libéraux) de « donner de nouveaux fondements à une institution qui ne serait plus que l'ouvrage de l'homme, en rendant l'Eglise toute humaine de divine qu'elle est. »

Trente ans plus tard, ces mêmes erreurs modernes provoquèrent de nouveau une solennelle condamnation du magistère : ce fut la célèbre et salutaire encyclique de Pie IX, Quanta cura, accompagnée du Syllabus, un catalogue des erreurs moderne (1864). Cette ignorance des lois de constitution et d'évolution des sociétés vers Dieu et cet aveuglement qui fait chercher les remèdes sans s'occuper des causes développèrent l'irréligion, la frénésie des jouissances, l'ignorance des lois d'ordre, de hiérarchie, de solidarité et de sacrifice.

Sept ans après le Syllabus, Pie IX confia à des pèlerins français : « Croyez-moi, le mal que je dénonce est plus terrible que la Révolution et la Commune. J'ai toujours condamné le libéralisme et je le condamnerai encore quarante fois si c'était nécessaire. »

Malgré les soins attentifs des pontifes romains, les faux principes du siècle progressèrent même chez les catholiques. Pour lutter contre les maladies sociales (misère, chômage, guerres), on prêcha les pires abandons spirituels, on encouragea les plus bas appétits matériels et, finalement, on préconisa comme remède la surproduction et la surconsommation... Certains chrétiens en vinrent à affirmer que seule une adaptation au monde pouvait sauver l'Eglise.

Un moderniste avancé de chez nous : l'abbé Gregory Baum.
Quelques prêtres d'avant garde, le jésuite Tyrrell, le prêtre Alfred Loisy et d'autres, furent excommuniés pour leurs erreurs par le pape Pie X qui avait, dès 1907, solennellement condamné « les doctrines modernistes » dans l'encyclique Pascendi :

« Ce qui exige surtout que Nous parlions sans délai, c'est que, les artisans d'erreurs, il n'y a pas à les chercher aujourd'hui parmi les ennemis déclarés. Ils se cachent et c'est un sujet d'appréhension et d'angoisse très vives, dans le sein même et au cœur de l'Eglise, ennemis d'autant plus redoutables qu'ils le sont moins ouvertement. Nous parlons, Vénérables Frères, d'un grand nombre de catholiques laïques, et, ce qui est encore plus à déplorer, de prêtres, qui, sous couleur d'amour de l'Eglise, absolument courts de philosophie et de théologie sérieuses, imprégnés au contraire jusqu'aux moelles d'un venin d'erreur puisé chez les adversaires de la foi catholique, se posent, au mépris de toute modestie, comme rénovateurs de l'Eglise [...] Ces hommes-là peuvent s'étonner que Nous les rangions parmi les ennemis de l'Eglise. Nul ne s'en étonnera avec quelque fondement qui, mettant leurs intentions à part, dont le jugement est réservé à Dieu, voudra bien examiner leurs doctrines, et, conséquemment à celles-ci, leur manière de parler et d'agir.

Ennemis de l'Eglise, certes ils le sont, et à dire qu'elle n'en a pas de pires on ne s'écarte pas du vrai. Ce n'est pas du dehors, en effet, on l'a déjà noté, c'est du dedans qu'ils trament sa ruine; le danger est aujourd'hui presque aux entrailles mêmes et aux veines de l'Eglise; leurs coups sont d'autant plus sûrs qu'ils savent mieux où la frapper. Ajoutez que ce n'est point aux rameaux ou aux rejetons qu'ils ont mis la cognée, mais à la racine même, c'est-à-dire à la foi et à ses fibres les plus profondes. Puis, cette racine d'immortelle vie une fois tranchée, ils se donnent la tâche de faire circuler le virus par tout l'arbre: nulle partie de la foi catholique qui reste à l'abri de leur main, nulle qu'ils ne fassent tout pour corrompre. Et tandis qu'ils poursuivent par mille chemins leur dessein néfaste, rien de si insidieux, de si perfide que leur tactique: amalgamant en eux le rationaliste et le catholique, ils le font avec un tel raffinement d'habileté qu'ils abusent facilement les esprits mal avertis. »

Démasqués, ils entrèrent sous terre mais continuèrent à travailler, à écrire, à pervertir derrière des pseudonymes. Le poison faisait son effet lentement : on continuait à désirer un mariage entre l'Eglise et la Révolution. La dernière solennelle mise en garde contre cette prétention sacrilège fut celle de Pie XII avec l'encyclique Humani Generis du 12 août 1950 : « Des théologiens et des philosophes catholiques se sont aujourd'hui, tout comme aux temps apostoliques, attachés, plus qu'il ne convient aux nouveautés dans la crainte de passer pour des ignorants de tout ce que charrie un siècle de progrès scientifique. »

Le Pape dénonçait clairement cette « nouvelle philosophie aberrante », qui « s'est nommé existentialisme, parce que négligeant les essences immuables des choses elle n'a de souci que de l'existence de chacun » comme « dépassant l'idéalisme, l'immanentisme et le pragmatisme. » Puis, il condamnait, sans les nommer, ces nouveaux théologiens qui « pour donner satisfaction aux besoins du jour, cherchaient à exprimer le dogme au moyen des notions de la philosophie moderne. [...] Pareilles nouveautés ont déjà produits des fruits empoisonnés dans toutes les parties, ou presque, de la théologie. »

Voilà où nous en étions à la veille du concile...



-Abbé Olivier Rioult, Communion et anathème selon la doctrine catholique. Editions Saint Agobard. 2017. Pp. 12-16