Conformément à la demande de Notre-Seigneur à sainte Marguerite-Marie Alacoque, le Sacré-Cœur trône majestueusement au milieu de notre drapeau national. |
Ce Labarum, il flottait, par un
privilège tout spécial, sur le ciel du Canada, dès les premières
années de notre colonie. De toutes les dévotions qu'on retrouve au
berceau de la Nouvelle-France, celle qui a pour objet le Coeur de
Jésus, compte parmi les plus solides et les plus populaires.
Quelques apôtres, envoyés par la
Providence sur nos rives, s'étaient appliqués à la faire fleurir.
Au premier rang, la Thérèse du Nouveau-Monde, Marie de
l'Incarnation. Favorisée, bien avant l'humble Visitandine de Paray,
des faveurs du Sacré Cœur, elle s'emploie ardemment à propager son
culte. Puis, c'est le premier évêque de Québec, l'ami du vénérable
Jean Eudes, Mgr de Montmorency-Laval; c'est la pieuse Hospitalière,
Catherine de Saint-Augustin; ce sont les missionnaires et les martyrs
de l'époque: Lejeune, Ragueneau, Brébeuf, Lalemant. Une note
trouvée parmi les papiers de ce dernier, après sa mort, nous révèle
les motifs qui l'avaient poussé à demander les missions
canadiennes. Avant tout, c'est le « contentement », qu'il veut
donner au « Cœur sacré de Jésus-Christ », de « faire adorer son
nom et étendre son royaume ».
Sous l'impulsion de ces apôtres, la
dévotion au Sacré Cœur s'introduit dans les familles. Plutôt
privée, confinée au foyer durant le XVIIe siècle, elle s'étend et
devient culte public dès le début du XVIIIe .
En 1716, une pieuse confrérie est
fondée sous le nom d'Association du Sacré Cœur. Elle a son centre
dans la petite chapelle du monastère des Ursulines. Le registre où
s'inscrivent les noms des associés contient ceux de l'évêque, Mgr
de Saint-Vallier, des membres du clergé séculier et régulier, des
familles les plus distinguées du pays. Et chacun tient à prouver,
par des actes, que son adhésion n'est pas un vain geste.
C'est ainsi que « chaque fête, écrit
l'abbé Lindsay, avait un nombre choisi d'adorateurs. Dès le jour de
l'an, arrivait au pied de l'autel Pierre de la Vérandrye, avec sa
femme Anne-Louise Daudonneur du Sablé. A Pâques, venait à son tour
le chevalier de Repentigny; à la Fête-Dieu, M. Thomas-Jacques
Taschereau; le jour des Morts, M. de Rigaud, marquis de Vaudreuil; le
jour de l'Immaculée Conception, M .Daniel Liénard de Beaujeu; le
jour de Noël, M. Joseph-Henri de la Gorgendière. Quant à Mme Denys
de la Ronde, ayant sans doute plus de loisir que son mari, elle
s'engageait pour honorer le Sacré Cœur, à faire une heure
d'adoration tous les premiers vendredis du mois. Souvent encore les
mères venaient en compagnie de leurs filles: Mme Charlotte de
Ramesay, avec ses filles Marguerite, Charlotte et Louise; Mme de
Longueuil et ses trois filles, la baronne de Bécancour et ses
enfants. Les jeunes filles formaient aussi des groupes choisis;
Thérèse Hertel de Rouville, Thérèse Duchesnay, Thérèse de
Beaujeu et Thérèse Hertel de la Fresnière consacraient à honorer
le Sacré Cœur le jour de leur patronne sainte Thérèse. »
Accroissement de la dévotion
Le père Victor Lelièvre, ardent prédicateur du Sacré-Cœur. |
En 1873, ce sont les évêques, qui,
assemblés en concile, invitent les populations à se consacrer au
Cœur du divin Maître. Leur mandement collectif détermine un magnifique mouvement.
Cœur du divin Maître. Leur mandement collectif détermine un magnifique mouvement.
En 1886, c'est un pieux religieux
jésuite, le P. Jean-Baptiste Nolin, qui entreprend par tout le
Canada une véritable croisade. Sa parole originale et ardente
enrôle, en moins de trois ans, 166 348 fidèles dans l'Apostolat de
la Prière. Fort de ce premier succès, il lance, en 1889, le projet
de la consécration des familles au Sacré Cœur: 41 000 lui
répondent. Les signatures de leurs chefs respectifs, inscrites dans
un livre d'or, sont envoyées à Toulouse et de là à
Paray-le-Monial.
Dès lors le culte cher à nos pères
ne fait que se développer et s'organiser. Il a bientôt ses
confréries, ses ligues, ses organes, il a ses apôtres et ses chefs
de groupe, il a ses manifestations et ses victoires.
Depuis quinze à vingt ans
principalement — tout observateur attentif de notre vie religieuse
a pu le constater — il pénètre dans les différents domaines où
se meut notre existence, il les assainit et les vivifie.
Aucun ne lui échappe. C'est d'abord le
foyer. Le Cœur de Jésus en devient le Protecteur officiel, le
Maître, le Roi unanimement reconnu. Son image est mise à une place
d'honneur ordinairement à l'entrée de la maison, au-dessus de la
porte. Souvent aussi une statue orne l'une des pièces intérieures.
C'est à ses pieds que la famille se réunit pour la prière du soir.
En même temps qu'au foyer, le Sacré
Cœur règne à l'école. Quelle maison d'éducation, quelle classe
même ne lui rend pas un culte spécial ? Le matin, les élèves lui
consacrent ensemble leur journée, puis, d'heure en heure, ils lui
offrent leurs différentes actions: messe, communion, chapelet,
travaux, actes de charité, lecture de piété, mortifications,
visites au saint Sacrement, oeuvres de zèle, souffrances,
récréations, victoires sur leurs défauts; ils les marquent
assidûment sur une feuille qu'ils déposent, à la fin du mois, dans
une corbeille: c'est la pratique salutaire du Trésor du Cœur de
Jésus. Elle tient l'âme unie intimement à Notre-Seigneur, fidèle
à ses devoirs de chaque instant.
Culte social et national
De la famille et de l'école, la
dévotion au Sacré Cœur a pénétré dans l'usine, l'atelier, le
magasin. Elle a débordé naturellement de la vie privée dans la vie
professionnelle. Ce furent d'abord quelques cas isolés. Nous
connaissons un industriel, ancien ministre fédéral et ancien maire
de Montréal qui, en 1901, consacrait solennellement sa manufacture
au Sacré Cœur et y installait sa statue. Le mouvement, cependant,
ne commença à se généraliser qu'en 1905. Un apôtre au cœur de
feu, le P. Lelièvre, oblat de Marie-Immaculée, en fut l'initiateur.
Il visita, cette année-là, comme prélude de son action, vingt-huit
manufactures, et gagna à sa cause huit cents ouvriers, premières
recrues du magnifique bataillon chrétien que tout le Canada connaît
maintenant sous le nom d'ouvriers du Sacré Cœur. Enrôlés sous la
bannière du divin Maître, ils ne voulurent plus travailler que sous
son regard protecteur. Et c'est ainsi que sa statue fut mise à une
place d'honneur dans un grand nombre d'usines et d'ateliers.
D'autres paroisses suivirent l'exemple
de Saint-Sauveur. Le geste plût à des hommes qui n'y étaient pas
d'abord disposés, quand ils connurent son heureuse influence sur les
travailleurs. Des protestants mêmes le favorisèrent dans leurs
usines. Ils ne se comptent plus actuellement, à Québec, à
Montréal, aux Trois-Rivières, à Chicoutimi, à Lévis, dans tous
les centres industriels de la province, les établissements où le
Sacré Cœur est publiquement honoré.
Comme son culte avait passé
naturellement de la vie de famille à la vie professionnelle, ainsi
passa-t-il de celle-ci à notre vie sociale et nationale. Que
d'actes, depuis quelques années, témoignent de cette pénétration
profonde et sûre. C'est le mouvement en faveur du drapeau Carillon
Sacré-Cœur; c'est la consécration à ce Cœur divin de plusieurs
associations, parmi les plus représentatives de la race et d'un
grand nombre de villages et de villes, fiers de se donner à lui par
la voix de leurs chefs civils, et d'élever en son honneur, sur une
de leurs places principales, un superbe monument.
On dirait vraiment que le culte du
Sacré Cœur a presque atteint chez nous son apogée. Il est bon,
cependant, quand une occasion nous y invite, de revenir sur telle ou
telle étape d'un chemin victorieusement parcouru, afin d'élargir et
de fortifier les bases que nous y avons établies. Ainsi l'exige la
stratégie spirituelle aussi bien que la stratégie militaire.
Cette occasion, des événements
extérieurs nous la fournissent actuellement. Notre devoir est d'en
profiter.
Reprenons donc la mentalité et les
traditions de nos aïeux, des constructeurs de notre nationalité.
Considérons-nous d'autant plus tenus à servir Dieu que notre
position est élevée et notre influence étendue. Quelques familles
le comprendront d'instinct. Puisse leur empressement à se consacrer
au Sacré Cœur entraîner les autres, et assurer ainsi le règne
social de Notre-Seigneur Jésus-Christ en terre canadienne!