Dom Léonce Crenier (1888-1963) Abbé du monastère bénédictin de Saint-Benoit-du-Lac. |
Tel était le cri de
saint Jean-Baptiste au désert;
Telle fut la première
prédication de Notre-Seigneur;
Tel a toujours été
l'avertissement que les Saints ont jeté au monde;
Tel est enfin l'appel
que la Très Sainte Vierge, dans ses diverses apparitions depuis cent
ans, nous adresse...
Or, on ne fait point
pénitence.
On n'en voit pas la
nécessité.
Tout le monde semble
croire qu'il suffit, pour purifier son cœur et se rendre tout-à-fait
agréable à Dieu, de se confesser et d'accomplir la pénitence reçue
à cette occasion.
Et non seulement on ne
fait point pénitence, mais encore on recherche immodérément les
plaisirs sensibles; on ne semble vivre que pour cela.
Il arrive même que
l'on veuille ériger cette conduite en doctrine, et que l'on appelle
« Rigorisme » ce qui n'est en réalité que le minimum de
la pénitence chrétienne.
C'est là un grand mal.
Si, en effet, le rigorisme est condamnable – et il l'est – la
vraie pénitence est louable et nécessaire.
Il y a dans la
spiritualité de nombreux catholiques d'aujourd'hui quelques grandes
lacunes, et l'oubli de la pénitence en est une. La Sainte Vierge
nous l'a redit en vain. Nous voudrions, dans
ces quelques pages, rappeler l'enseignement de la tradition
catholique sur la nécessité de la pénitence et les normes d'après
lesquelles doit se régler la pratique de cette vertu, qui étant
d'ordre moral, consiste en un milieu, placé entre un excès et un
défaut.
Trop de mortification,
c'est le rigorisme.
Trop peu de
mortification, c'est le laxisme.
Au milieu, entre cet
excès et ce défaut, se place la vertu chrétienne de pénitence. Là
est tracée la voie étroite qui est le seul chemin pour aller au
ciel.
La mortification est la
répression des tendances déréglées de notre volonté et de notre
sensibilité, en vue de soumettre parfaitement à Dieu ces deux
facultés.
Comme nous le verrons,
pour obtenir cette soumission parfaite, il est souvent nécessaire de
réfréner en nous des tendances qui ne sont point déréglées.
Et pourquoi cette
répression?
1- Parce que nos
tendances, désordonnées depuis le péché originel, nous poussent à
milles choses défendues et mauvaises.
Or, pour redresser un
jeune arbre, il ne suffit pas de le ramener à la verticale : il
faut le courber dans le sens opposé à celui où il penche.
De même, il nous faut
parfois retrancher ce qui est permis pour pouvoir extirper ce qui est
déréglé.
Comme le dit saint
Thomas (De Malo, Q. 4, a. 2.) : « Le grand lien spirituel
qui contenait merveilleusement toute notre nature étant rompu, sans
être proprement disposés à rien, nous sommes exposés à tout,
comme un vin généreux qui s'écoule en tout sens, ou comme une
fougueuse monture qui n'est plus gouvernable. »
Et c'est d'abord ce
déréglement qu'il faut combattre; on oublie de le faire; on semble
ignorer qu'il faut le faire.
2- Parce que nos péchés
personnels nous obligent à la pénitence, et pas seulement à la
pénitence sacramentelle, dont on ne saurait se contenter. Aussi, le
Concile de Trente (Session XIVe, chapitre VIIIe) nous conseille-t-il
trois sortes d'oeuvres satisfactoires :
a) Les peines par nous
spontanéement recherchées pour réparer le péché;
b) Les peines imposées par le prêtre
en proportion de la faute;
c) Enfin (et ceci est la plus grande
preuvre d'amour) les épreuves temporelles infligées par Dieu et
patiemment supportées par nous.
3- Parce que ces péchés
personnels ont encore accentué les mauvais plis laissés en nous par
le péché originel. Cette conséquence vient s'ajouter à la
culpabilité que nous avons encourie en commettant ces fautes, et
vient rendre plus ardu, plus laborieux, le redressement auquel nous
devons travailler.
4- Le quatrième motif
qui nous oblige à la mortification, dit M. Olier, c'est la
sainteté, qui nous doit tenir unis à Dieu et détachés de toute
créature.
Le bonheur divin qui
nous est destiné, dès ici-bas, exige un renoncement aux jouissances
inférieures, dans lesquelles notre sensibilité pourrait s'arrêter.
Nous devons considérer
la hauteur du but à atteindre. Un chrétien doit, dit
Notre-Seigneur, s'efforcer d'être parfait comme le Père céleste
est parfait.
Il ne s'agit donc pas
simplement de mener une vie qui soit raisonnable à nos propres yeux;
il faut tâcher de mener une vie divine, d'être, comme nous y
exhorte saint Paul, les imitateurs de Dieu.
Il faut donc toujours
tendre à ce que nous conseille saint Paul : « Si vous
êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d'en-haut,
et non celles de la terre. »
La hauteur de l'idéal
surnaturel qui nous est proposé demande si nous voulons y tendre que
soit exclus de notre vie ce qui, sans être mauvais, détournerait de
Dieu notre regard et notre activité.
5- Par esprit de
religion et de sacrifice, dit M. Olier, nous devons mortifier tous
nos appétits propres.
6- Par amour du
prochain, c'est-à-dire pour les délivrance des âmes du purgatoire
et le salut des pécheurs.
Membres du Christ, nous
devons collaborer à son œuvre de rédemption, à l'exemple de saint
Paul, qui disait : « Je suis plein de joie dans mes
souffrances pour vous, et ce qui manque aux souffrances du Christ en
ma propre chair, je l'achève pour son corps, qui est l'Eglise. »
Quand nous réparons
pour nos propres péchés, c'est la vertu de pénitence. La
réparation pour les autres est charité envers le prochain.
7- Par amour pour le
Christ. N'est-ce pas à ce motif que pensait saint Paul lorsqu'il
écrivait que « ceux qui sont au Christ ont crucifié leur
chair avec ses vices et ses convoitises »? et lorsqu'il disait
aux Philippiens : « Pour son amour, j'ai voulu tout
perdre, regardant toutes choses comme de la balayure, afin de gagner
le Christ et d'être trouvé en lui... afin de le connaître, lui et
la vertu de sa résurrection, d'être admis à la communion de ses
souffrances, en lui devenant conformes dans sa mort, pour parvenir,
si je le puis, à la résurrection des morts. »
8- L'ascèse, et en
particulier le jeûne, sont utiles à la santé du corps, et bien que
ce motif soit naturel, nous pouvons le sanctifier par l'intention.
9 – La lutte contre
le démon. Il y a, nous dit Notre-Seigneur, des démons qui ne sont
chassés que par le jeûne et par la prière.
Notre lutte principale
est contre les démons qui sont autour de nous, comme l'Eglise nous
le rappelle tous les jours à Complies, et comme nous le dit si
fortement l'Epître du 21e dimanche après la Pentecôte.
Or, les démons se
combattent par le jeûne, la prière et la mortification en général.
Le tabernacle de Satan. |
10- Le fait de vivre
dans un temps où revit le paganisme, et à côté d'une grande
nation aux trois-quarts païenne nous invite à pratiquer une ascèse
encore plus assidue.
L'existence de ce
néo-paganisme a été constatée en termes très attristés par Pie
XI et son successeur Pie XII. Le Pape s'exprimait ainsi le 8 février
1932, dans un discours : « … On marche donc par les
voies d'un paganisme nouveau et qui matérialise la vie tout entière.
Beaucoup pensent que le gain est tout, que le gain doit être rapide,
afin qu'on puisse jouir de la vie, s'amuser, dominer, prévaloir. Le
paganisme rentre dans la vie publique, dans la vie privée, dans la
vie familiale, par suite d'un abandon de plus en plus commun des
principes de modération, de retenue, d'abnégation, de respect de
soi-même, de respect des autres et de toute chose respectable. »
Et l'on se rappelle les
fortes paroles de Son Eminence le Cardinal Villeneuve, aux
Trois-Rivières, en août dernier :
« … Je voudrais
oublier le règne de la chair, les crimes secrets des époux, les
libertés criminelles de la jeunesse, les audaces, les recherches,
les passions, les faiblesses, les suggestions, les regards, les
pensées, les sollicitations, les scandales qui jettent la génération
nouvelle dans la luxure la plus effrénée, et dans des mœurs que
Sodome, Babylone, Rome et Athènes, et tous les siècles païens
n'ont peut-être pas dépassés... »
N'est-il pas évident
que ce mal appelle une réaction d'austérité chrétienne?
Le début du 17e siècle
voyait fleurir un paganisme pareil à celui d'aujourd'hui. C'est
alors que se produisit la réaction des Saints, magnifiquement
décrite pas Brémond comme une « invasion mystique ».
C'est le temps de
Bérulle et de son Ecole, où brilla bientôt M. Olier, qui devait
fonder la Compagnie de Saint-Sulpice, admirable dans tous les temps
par son austérité chrétienne, qui en a fait le modèle de la
perfection sacerdotale.
C'était alors aussi
que surgissait cette magnifique pléiade de saints personnages qui
devaient fonder le Canada et lui donner cette impulsion de vie
chrétienne qui dure encore et continue de faire l'admiration des
étrangers.
La réaction de
sainteté du début du 17e siècle s'impose aujourd'hui pour les
mêmes raisons.
On consultera, pour
plus de détails :
Les œuvres de Cassien,
toujours actuelles.
Les œuvres de saint
Jean de la Croix, surtout la Montée du Carmel et la Nuit
obscure, précieux ouvrages propres à dissiper toutes les
illusions.
Les œuvres de M.
Olier, et en particulier son Introduction à la vie et aux Vertus
chrétiennes.
L'introduction à la
Vie dévote, de saint François de Sales.
Les œuvres de
Rodriguez (Perfection chrétienne).
Celles de saint Jure
(L'homme spitituel).
Celles de saint
Alphonse de Liguori (Dignité et devoirs du Prêtre, etc.).
Le précis de
théologie ascétique et mystique, de Tanquerey
-Dom Léonce Crenier, O.S.B., Le juste milieu de la pénitence. Saint-Benoit-du-Lac. 1944.