Raisons qui m'engagent a établir ma seigneurie des Iles Percées que j'ai nommée Boucherville.
1ère Raison. - C'est pour avoir un lieu dans ce pays consacré à Dieu, où les gens de bien puissent vivre en repos, et les habitants faire profession d'être à Dieu d'une façon toute particulière. Ainsi toute personne scandaleuse n'a que faire de se présenter pour y venir habiter, si elle ne veut changer de vie, ou elle doit s'attendre à en être bientôt chassée.
Statue de Pierre Boucher (1622-1717) devant le parlement de Québec. |
3ème Raison. - C'est pour tâcher d'amasser quelque bien par les voies les plus légitimes qui se puissent trouver, afin de faire subsister ma famille, pour instruire mes enfants en la vertu, la vie civile et les sciences nécessaires à l'état où Dieu les appellera et ensuite les pouvoir chacun dans sa condition.
4ème Raison. - Comme c'est un lieu fort avantageux tant pour les grains que pour les nourritures, et que ce serait dommage qu'il demeurât inutile, ou que cela est capable de mettre bien des pauvres gens à leur aise, ce qui ne se peut faire si quelqu'un ne commence. - Cette terre m'appartenant, je crois que Dieu demande de moi que j'aille au plus tôt l'établir. Ce qui me confirme dans cette pensée, c'est la connaissance que j'ai que cela sera utile au public et aux particuliers.
5ème Raison. - C'est qu'il me semble que j'aurai plus de moyen de faire du bien au prochain et d'assister les pauvres, que dans le poste où je suis, où mes revenus ne suffisent pas pour faire ce que je voudrais, ayant d'ailleurs une grande famille; ce qui fait que je n'ai à présent presque que le désir et la bonne volonté. - Peut-être que dans la suite me trouverai-je en état d'exécuter les sentiments que Dieu me donne conformément à ce que j'ai vu pratiquer à un grand homme de bien; ce que je ne pourrais faire demeurant ici.
Pour y réussir, je prie notre bon Dieu par les mérites et l'intercession de son fidèle serviteur, le Père de Brébeuf, de m'en faciliter l'établissement, si c'est pour sa gloire et le salut de mon âme et celui de toute ma famille; sinon, qu'il ne permette pas que j'en vienne à bout, ne voulant rien que sa sainte volonté.
Je mets ceci par écrit, afin que si Dieu permet que je réussisse, le relisant, je me souvienne de ce à quoi je me suis engagé; afin aussi que mes successeurs sachent mes intentions. Je les prie de continuer dans la même volonté, si ce n'est qu'ils voulussent enchérir par-dessus, en y faisant quelque chose de plus à la gloire de Dieu. C'est ce en quoi ils me peuvent le plus obliger, ne leur demandant pour toute reconnaissance que Dieu soit servi et glorifié d'une façon toute particulière dans cette seigneurie, comme en étant le maître. C'est mon intention; je le prie de tout mon cœur qu'il veuille bien l'agréer, s'il lui plaît. Ainsi soit-il.
BOUCHER
-Père Louis Lalande, Une vieille seigneurie: Boucherville. Cadieux & Derome Libraires-éditeurs. Montréal, 1890. Pp. 36-39