Ecce homo, par Philippe de Champaigne |
Il y a eu des hérétiques qui ont nié l'humanité de Jésus-Christ, comme il y en a eu qui ont nié sa divinité. Mais la meilleure preuve qu'il pouvait donner de son humanité, il l'a donnée en subissant le sort commun à tous les mortels.
Comme tous les fils d'Adam, il est mort ; et pour que personne n'en ignore, il a rendu le dernier soupir sur
une croix, aux portes d'une grande ville, en plein jour, au milieu d'une foule de spectateurs.
Il est mort après avoir subi toutes les ignominies, après avoir été flagellé et présenté au peuple sous ce titre qui supprimait jusqu'à son nom : Ecce Homo, voilà l'Homme!
Oui, c'était bien l'homme, type de faiblesse et d'impuissance que la mort tenait déjà sous sa main.
Et cependant, si Pilate avait raison de dire en présentant Jésus au peuple : Ecce Homo nous avons le droit de nous écrier même à cette heure où nous le voyons mourir : Deus! Ecce Deus!
Mais comment la divinité peut-elle nous apparaître dans ce fait essentiellement humain, la mort? Quels traits divins y signalerons-nous?
I. - Le premier qui frappe l'observateur dans les circonstances qui ont entouré la mort du Christ, c'est qu'il l'a prophétisée, annoncée à ses disciples, avec tous les détails qui devaient l'accompagner.
L'avenir pour l'homme c'est l'inconnu ; et nul ne peut dire combien de temps il doit vivre encore, à quelle date et de quelle manière il mourra.
Mais Jésus connaît sa destinée, parce qu'il est Dieu, et il veut en découvrir le douloureux secret à ses disciples. Il sait que sa mort sera pour eux l'effondrement de leurs espérances, et à différentes reprises il essaie de les préparer et de leur faire comprendre la nécessité de son sacrifice.
Plusieurs mois avant sa Passion, en Galilée, il leur dit « qu'il ira à Jérusalem, qu'il souffrira beaucoup de choses, qu'il sera rejeté par les Anciens, les Scribes et les Princes des prêtres, qu'il sera mis à mort et qu'il ressuscitera le troisième jour. »
Les disciples sont consternés, et Pierre, parlant au nom de tous, dit à son Maître : « Non, il ne faut pas qu'il en soit ainsi ; non, cela n'arrivera pas. »
Mais Jésus reprend Pierre durement, et il réaffirme qu'il faut qu'un Dieu souffre et meure pour sauver l'humanité. Bien plus, il faudra que les disciples souffrent et meurent pour le Maître.
Jésus voit déjà la croix dressée devant lui, et il leur dit : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive! »
Mais quelques jours après, Jésus était transfiguré sur le mont Thabor ; et les apôtres, témoins de sa puissance et de sa gloire, se reprenaient à espérer un Messie vainqueur, rétablissant le royaume d’Israël. C'est pourquoi Jésus descendu du Thabor leur dit, en cheminant vers Capharnaüm : « Mettez bien ces paroles dans votre cœur : Le Fils de l'homme doit être livré entre les mains des hommes ; ils le tueront et, le troisième jour après sa mort, il ressuscitera. »
La Transfiguration, par Rubens. |
Mais Jésus leur dit encore ces tristes paroles : « Nous montons à Jérusalem ; tout ce que les Prophètes ont écrit sur le Fils de l'homme va s'accomplir. Il sera livré aux Princes des prêtres, aux Scribes et aux Anciens, et ils le condamneront à mort. Ensuite, ils le livreront aux païens pour être insulté, flagellé et couvert de crachats ; et après qu'ils l'auront flagellé, ils le crucifieront ; et le troisième jour il ressuscitera. »
Encore quelques jours, et cette lugubre prédiction s'accomplira à la lettre. Non seulement Jésus prédit qu'il va mourir, alors qu'il est dans toute la vigueur de l'âge et de la santé. Mais il décrit le genre de mort qu'il va subir et tous les détails de sa douloureuse Passion.
N'est-il pas évident qu'un Dieu seul pouvait prédire des événements avec cette précision ?
II. - Mais non seulement Jésus a prophétisé sa mort ; il s'est livré librement à ses bourreaux et il a choisi lui-même le genre de mort le plus ignominieux.
La nature humaine ne va pas volontairement au-devant de la mort, et, quand elle s'y dévoue, elle cherche naturellement une mort glorieuse et, autant que possible, la moins douloureuse.
Jésus agit différemment. Il pouvait fuir la mort, il marche à sa rencontre. Quand les soldats vont l'arrêter, il les renverse par terre en prononçant cette seule parole : « C'est Moi ! » S'il voulait les appeler, des légions d'anges viendraient le défendre et le sauver.
Mais il a fait généreusement le sacrifice de sa vie. « Nul ne m'ôte la vie, dit-il, je la quitte de moi-même, j'ai le pouvoir de la donner, et j'ai le pouvoir de la reprendre. » Et voilà comment on voit humblement soumis à toutes les humiliations et à toutes les tortures celui qui, depuis trois ans, commandait aux éléments, renversait toutes les lois de la nature physique, et ressuscitait les morts.
Seule une vertu divine peut abdiquer à ce point l'exercice de sa souveraineté. Mais pendant que la souveraine puissance de Jésus s'éclipsait ainsi dans sa personne, elle éclatait au dehors. Le soleil s'éclipsait en même temps que son Créateur. Le voile du temple se déchirait, la terre tremblait, les rochers se fendaient, plusieurs tombeaux s'ouvraient et les morts ressuscitaient, et le Centurion, témoin de cette mort extraordinaire, s'écriait : « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu ! »
III. - La prédiction de sa mort et la libre détermination avec laquelle il va au-devant, dépassent la nature humaine ; mais sa nature divine se révèle peut-être encore plus éloquemment dans les circonstances de cette mort. Jésus ne pouvait être sauver qu'en se faisant victime, et il fallait que cette victime fût d'un mérite infini. Les sacrifices sanglants que les peuples avaient multipliés pendant quarante siècles avaient pu avoir quelque mérite expiatoire pour les individus, mais ils auraient été insuffisants pour la rédemption du genre humain. Le sacrifice d'un Dieu pouvait seul racheter l'humanité ; il fallait pour cela que ce Dieu eût dans ses veines le sang d'un homme, afin de pouvoir le verser en sacrifice.
Nous croyons avoir déjà montré que Jésus était dans les conditions voulues, étant à la fois Dieu et homme, pour offrir à Dieu le sacrifice nécessaire. Voyons maintenant s'il a vraiment fait son sacrifice d'une manière digne d'un Dieu.
L'heure des ténèbres est venue. Satan triomphe, et Judas va consommer sa trahison. L'auguste Victime est prête à sacrifier tout ce qu'elle est et tout ce qui lui appartient. Le plus grand des biens de l'homme est sa liberté : Jésus sacrifie la sienne. Il se livre aux satellites de Judas. Le voici dans la cour du grand-prêtre les mains liées, ces mains qui ont façonné la terre, et qui ont lancé dans l'espace le soleil, la lune et tous les astres. Ces mains qui s'étendaient naguère pour bénir et pour guérir. Après sa liberté, le bien que l'homme chérit davantage, c'est son honneur et sa gloire. Or, elle était bien éclatante, la gloire de Jésus. On l'appelait le Prophète, le Messie, le Fils de David appelé à rétablir le royaume d'Israël. Mais voici qu'il est arrêté, enchaîné, traduit devant les tribunaux. Voici qu'on le dénonce comme un blasphémateur, un impie, un révolté contre la Loi de Moïse. Il est ennemi de César et il soulève le peuple. Il veut renverser le temple, symbole vénéré de la religion des Juifs. Bien plus, il veut se substituer à Jéhovah, en en se déclarant Dieu lui-même.
On le trouvait bien éloquent naguère, et l'on disait que personne n'avait jamais parlé comme lui. Et maintenant, il a comparu devant les Prêtres et n'a pas su leur répondre. Devant Hérode, il n'a pas dit un seul mot. On l'accuse, et il ne se défend pas.
C'est fini, son honneur et sa gloire se sont évanouis.
Conservera-t-il au moins sa réputation d'honnête homme ? Non, elle aussi doit être sacrifiée. Il est mis en parallèle avec Barrabas, voleur, assassin, débauché, et la foule, le suffrage universel, lui préfère Barrabas. Il est plein de santé, et c'est un des grands biens de ce monde. Il est jeune encore, il a devant lui un demi-siècle de vie heureuse, s'il le veut. Il consent à mourir sans plus tarder.
Il lui reste son corps, ce corps si pur et si beau, formé par l'opération du Saint-Esprit dans le sein d'une vierge, et que les anges seuls sont dignes de toucher. Il le livre aux fouets, aux soufflets, à tous les outrages des valets et des bourreaux.
Il avait des vêtements, on l'en a dépouillé. Quelques gouttes de sang coulent encore dans ses veines, il les répand. Et avant de rendre le dernier soupir, il donne sa mère au genre humain qui le fait mourir.
Tout cela n'est-il pas surhumain ? Y a-t-il dans toute l'histoire un homme qui soit mort ainsi ? Non, la nature divine de Jésus se révèle dans sa mort comme dans sa vie ; et Jean-Jacques Rousseau avait raison de dire : « Si la mort de Socrate est d'un Sage, la mort de Jésus-Christ est d'un Dieu. »
-Sir Adolphe-Basile Routhier, De l'homme à Dieu - Essai d'apologétique pour les hommes du monde. Librairie J. P. Garneau. Québec, 1913. Pp. 223-229.
II. - Mais non seulement Jésus a prophétisé sa mort ; il s'est livré librement à ses bourreaux et il a choisi lui-même le genre de mort le plus ignominieux.
La nature humaine ne va pas volontairement au-devant de la mort, et, quand elle s'y dévoue, elle cherche naturellement une mort glorieuse et, autant que possible, la moins douloureuse.
Jésus agit différemment. Il pouvait fuir la mort, il marche à sa rencontre. Quand les soldats vont l'arrêter, il les renverse par terre en prononçant cette seule parole : « C'est Moi ! » S'il voulait les appeler, des légions d'anges viendraient le défendre et le sauver.
Mais il a fait généreusement le sacrifice de sa vie. « Nul ne m'ôte la vie, dit-il, je la quitte de moi-même, j'ai le pouvoir de la donner, et j'ai le pouvoir de la reprendre. » Et voilà comment on voit humblement soumis à toutes les humiliations et à toutes les tortures celui qui, depuis trois ans, commandait aux éléments, renversait toutes les lois de la nature physique, et ressuscitait les morts.
Seule une vertu divine peut abdiquer à ce point l'exercice de sa souveraineté. Mais pendant que la souveraine puissance de Jésus s'éclipsait ainsi dans sa personne, elle éclatait au dehors. Le soleil s'éclipsait en même temps que son Créateur. Le voile du temple se déchirait, la terre tremblait, les rochers se fendaient, plusieurs tombeaux s'ouvraient et les morts ressuscitaient, et le Centurion, témoin de cette mort extraordinaire, s'écriait : « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu ! »
III. - La prédiction de sa mort et la libre détermination avec laquelle il va au-devant, dépassent la nature humaine ; mais sa nature divine se révèle peut-être encore plus éloquemment dans les circonstances de cette mort. Jésus ne pouvait être sauver qu'en se faisant victime, et il fallait que cette victime fût d'un mérite infini. Les sacrifices sanglants que les peuples avaient multipliés pendant quarante siècles avaient pu avoir quelque mérite expiatoire pour les individus, mais ils auraient été insuffisants pour la rédemption du genre humain. Le sacrifice d'un Dieu pouvait seul racheter l'humanité ; il fallait pour cela que ce Dieu eût dans ses veines le sang d'un homme, afin de pouvoir le verser en sacrifice.
Nous croyons avoir déjà montré que Jésus était dans les conditions voulues, étant à la fois Dieu et homme, pour offrir à Dieu le sacrifice nécessaire. Voyons maintenant s'il a vraiment fait son sacrifice d'une manière digne d'un Dieu.
L'heure des ténèbres est venue. Satan triomphe, et Judas va consommer sa trahison. L'auguste Victime est prête à sacrifier tout ce qu'elle est et tout ce qui lui appartient. Le plus grand des biens de l'homme est sa liberté : Jésus sacrifie la sienne. Il se livre aux satellites de Judas. Le voici dans la cour du grand-prêtre les mains liées, ces mains qui ont façonné la terre, et qui ont lancé dans l'espace le soleil, la lune et tous les astres. Ces mains qui s'étendaient naguère pour bénir et pour guérir. Après sa liberté, le bien que l'homme chérit davantage, c'est son honneur et sa gloire. Or, elle était bien éclatante, la gloire de Jésus. On l'appelait le Prophète, le Messie, le Fils de David appelé à rétablir le royaume d'Israël. Mais voici qu'il est arrêté, enchaîné, traduit devant les tribunaux. Voici qu'on le dénonce comme un blasphémateur, un impie, un révolté contre la Loi de Moïse. Il est ennemi de César et il soulève le peuple. Il veut renverser le temple, symbole vénéré de la religion des Juifs. Bien plus, il veut se substituer à Jéhovah, en en se déclarant Dieu lui-même.
On le trouvait bien éloquent naguère, et l'on disait que personne n'avait jamais parlé comme lui. Et maintenant, il a comparu devant les Prêtres et n'a pas su leur répondre. Devant Hérode, il n'a pas dit un seul mot. On l'accuse, et il ne se défend pas.
La Crucifixion de Notre-Seigneur, par Tintoretto |
Conservera-t-il au moins sa réputation d'honnête homme ? Non, elle aussi doit être sacrifiée. Il est mis en parallèle avec Barrabas, voleur, assassin, débauché, et la foule, le suffrage universel, lui préfère Barrabas. Il est plein de santé, et c'est un des grands biens de ce monde. Il est jeune encore, il a devant lui un demi-siècle de vie heureuse, s'il le veut. Il consent à mourir sans plus tarder.
Il lui reste son corps, ce corps si pur et si beau, formé par l'opération du Saint-Esprit dans le sein d'une vierge, et que les anges seuls sont dignes de toucher. Il le livre aux fouets, aux soufflets, à tous les outrages des valets et des bourreaux.
Il avait des vêtements, on l'en a dépouillé. Quelques gouttes de sang coulent encore dans ses veines, il les répand. Et avant de rendre le dernier soupir, il donne sa mère au genre humain qui le fait mourir.
Tout cela n'est-il pas surhumain ? Y a-t-il dans toute l'histoire un homme qui soit mort ainsi ? Non, la nature divine de Jésus se révèle dans sa mort comme dans sa vie ; et Jean-Jacques Rousseau avait raison de dire : « Si la mort de Socrate est d'un Sage, la mort de Jésus-Christ est d'un Dieu. »
-Sir Adolphe-Basile Routhier, De l'homme à Dieu - Essai d'apologétique pour les hommes du monde. Librairie J. P. Garneau. Québec, 1913. Pp. 223-229.