vendredi 11 novembre 2016

Vers la religion mondiale, le noachisme

Si l'Eglise n'est plus le verus Israël, que devient-elle dans cette nouvelle théologie du salut? Il n'entre pas dans cette étude de présenter tous les aspects de la religion noachide dont Vatican II a introduit les principes dans l'enseignement catholique. Un colloque pourrait lui être consacré tellement le sujet est vaste. Donnons cependant quelques repères historiques et relevons plusieurs aspects de ce nouveau « catholicisme ».

Après la Révolution française qui émancipa les juifs et qui leur permit d'entrer dans les sociétés civiles, les
rabbins et les penseurs du judaïsme s'interrogèrent sur la solution politique et religieuse du monde qu'ils allaient enfanter. Le retour en terre d'Israël était proche... l'ère messianique s'annonçait: il fallait, en effet, préparer le monde au naturalisme que viendrait couronner le Messie naturaliste. Ils devaient aussi résoudre le problème religieux qui ne manquerait pas de se poser: « Quand nous aurons retrouvé notre rôle de peuple qui apporte le salut aux nations, quelle sera la religion des chrétiens qui se ont prétendus le nouvel Israël? »

Elie Benamozegh, rabbin de Livourne, le Platon du judaïsme italien, « l'un des maîtres de la pensée juive contemporaine », proposa une solution - reprise de Maïmonide - qu'il publia en 1884 dans son maître-livre Israël et l'Humanité. Le sous-titre, évocateur, est: Etudes sur le problème de la religion universelle et sa solution. La solution Benamozegh, à laquelle vont se ranger peu à peu les tenants du judaïsme, peut se synthétiser comme suit:

L'Eglise catholique doit réformer son enseignement sur trois points:

  1. Changer son regard sur le peuple juif qu'elle doit réhabiliter comme étant le peuple aîné, peuple sacerdotal « qui a su conserver dans sa pureté originelle la religion primitive ». Ce peuple n'est ni déicide, ni rejeté de Dieu. Aucune malédiction ne pèse sur lui. Il est amené au contraire à proposer le bonheur et l'unité de l'humanité. « Reconnaître, écrit Gérard Haddad citant Benamozegh, sa fonction que [saint] Paul a cru pouvoir rayer. »
  2. « Renoncer à la divinité de Jésus, ce Fils de l'homme comme lui-même se désignait. » Simple rabbi, Jésus était juif et l'est resté. Prêcher Jésus-Christ mais un Jésus-Christ humain, venu apporter une morale pour le bonheur de tous les hommes.
  3. Accepter une ré-interprétation - et non une suppression du mystère de la Trinité.

A ces trois conditions, « l'Eglise catholique est l'Eglise du vrai catholicisme », vrai catholicisme que Benamozegh nomme le noachisme, religion pour tous les peuples qui appartiennent « à l'espace chrétien » comme dit Lustiger. Ce noachisme possède une morale que l'Eglise a mission de faire connaître aux peuples de la terre. La déclaration judéo-épiscopale américaine du 13 août 2002 y fait explicitement référence:

Le judaïsme considère que tous les peuples sont obligés d'observer une loi universelle. Cette loi, appelé les Sept Commandements de Noé, s'applique à tous les êtres humains. Ces lois sont: (1) l'établissement de cours de justice de sorte que la loi gouverne la société; et la prohibition: (2) du blasphème, (3) de l’idolâtrie, (4) de l'inceste, (5) de l'effusion de sang, (6) du vol et (7) de manger la chair d'un animal vivant.

La fin nouvelle de l'Eglise sera l'évangélisation des peuples à cet humanitarisme noachide en même temps que leur unification. Le primat romain sera redéfini pour faciliter l'unité des chrétiens. Le noachisme sera « la religion de la morale naturelle » ! Car en aucune façon, le non-juif ne doit chercher à se convertir au judaïsme ou mosaïsme talmudique, religion réservée à l'Elu. La solution Benamozegh, longtemps passée sous silence, est maintenant reprise par les sommités du monde juif. Le grand rabbin René Samuel Sirat, par exemple, fit allusion au statut des non-juifs lors des obsèques d'un jeune Française de vingt-quatre ans, victime d'un attentat commis à la cafétéria de l'Université hébraïque de Jérusalem, le 31 juillet 2002:

David, mon cher David, tu avais choisi de te rapprocher spirituellement et culturellement de notre communauté juive et de revendiquer auprès du judaïsme le beau titre de guer toshav, étranger et citoyen, à la fois, que la Bible a mis en valeur et que le rabbin Elie Benamozegh, au siècle dernier, a magnifiquement explicité dans son livre Israël et l'Humanité. Il s'agit d'un choix livre de se rapprocher de la tradition d'Israël, d'observer les sept lois - dites lois noachides - de morale naturelle révélées jadis à Noé, père de tous les vivants (...) Car, faut-il le rappeler, il n'est pas nécessaire de se convertir au judaïsme pour avoir droit au salut éternel. 


-Michel Laurigan, L'Eglise et la synagogue depuis Vatican II. Editions Le Sel. Couvent de la Haye-aux-Bonshommes, 2007. Pp. 37-40