La Révélation primitive, dont l'Eglise est héritière, impose à toute vie humaine, comme prix d'entretien,
l'obligation du travail: c'est là, d'après le christianisme, une loi commune pour tous les hommes; c'est là le statut, inaccessible à toute révision, donné par Dieu à l'humanité. L'Homme gagne son pain à la sueur de son front: cette austère réalité pèse et pèsera toujours sur la race. Mais voici que peu à peu à la lumière de la pensée chrétienne, cette loi du travail, où l'on était tenté de ne voir qu'une charte assez rigide de la vie individuelle, prend l'éclatante portée d'une obligation sociale. L'horizon du chrétien s'élargit: il trouve dans l'Epître de saint Paul aux Ephésiens l'invitation à « se livrer à quelque travail manuel bon en soi, afin d'avoir de quoi donner à ceux qui sont dans l'indigence »; à la sueur de son front, le chrétien gagnera non plus seulement son pain, mais le pain des autres, le pain qui se refuse aux bras défaillants de la pauvreté.
Le conseil de saint Paul est confirmé par saint Thomas : après avoir justifié la loi du travail par la triple nécessité de pourvoir à notre vie, d'éviter l'oisiveté, instruction de tous les vices, et de mortifier la concupiscence, l'auteur de la Somme signe une quatrième raison d'accomplir cette loi; et cette raison dernière, non moins décisive à ses yeux, c'est que notre propre travail doit nous permettre de secourir le prochain dans ses besoins. Le travail est une nécessité, le travail est une ascèse; il doit être aussi une charité; il doit servir - empruntons à la règle de saint Benoît une expression d'une très belle plénitude - « à acquitter intégralement la dette de la charité fraternelle. »
-Georges Goyau, Le Catholicisme - doctrine d'action. 1921.