Très curieux de s'instruire, et doué, aussi, d'une belle imagination et d'une vive sensibilité, il consacrait ses loisirs à l'étude des auteurs favoris, et surtout des poètes français contemporains. Volontiers, il réunissait dans l'arrière-pièce de son magasin des amis qui venaient y causer littérature.
Vers 1854, Crémazie publia ses premières poésies dans le Journal de Québec. Les accents du poète parurent nouveaux, plus larges que ceux que l'on avait jusque-là entendus. Ils émurent profondément l'âme de ses compatriotes.
Malheureusement, des revers de fortune obligèrent bientôt Crémazie à s'exiler. En 1862, le poète se réfugiait en France. Il y vécut pauvre, isolé, sous le nom de Jules Fontaine. Il mourut au Havre, en 1879.
Pendant son exil, Crémazie ne publia plus de vers. Il a souvent confié à ses amis qu'il en avait par centaines dans sa mémoire; il garda ainsi, sans les écrire jamais, sept ou huit cents vers de la Promenade de Trois Morts, qui est restée inachevée. La seule oeuvre littéraire qui reste de ces dures années passées loin du pays, et où le poète dut besogner pour vivre, sont quelques lettres à des amis sur des questions de littérature canadienne, des lettres à sa mère et à ses frères, et le récit détaillé écrit au jour le jour du Siège de Paris. Ce récit est un journal que Crémazie rédigeait chaque soir pour sa famille, et où il prenait note de tant de petits faits, de détails curieux, d'impressions fugitives qui n'entrent pas d'ordinaire dans la grande histoire.
Il y a dans les lettres de Crémazie, et dans le Journal du Siège de Paris tout l'esprit de l'écrivain et tout son cœur. Ses lettres témoignent d'un esprit de l'écrivain et tout son cœur. Ses lettres témoignent d'un esprit alerte, varié, tour à tour sérieux, badin, railleur et mordant, capable de jugements prompts et justes, capable aussi d'idées littéraires qui ne sont guère acceptables. Ses théories sur l'impossibilité de créer une littérature canadienne, très discutables quand à leurs principes, ont été démenties par les faits. Mais le cœur de Crémazie s'épanche aussi dans cette longue correspondance, et il y montre toute sa sensibilité délicate et meurtrie.
« Qu’ils sont heureux ceux qui dans la mêléePrès de Lévis moururent en soldats!En expirant, leur âme consoléeVoyait la gloire adoucir leur trépas.Vous qui dormez dans votre froide bière;Vous que j’implore à mon dernier soupir,Réveillez-vous! Apportant ma bannière,Sur vos tombeaux, je viens ici mourir. »
-Octave Crémazie, Le Drapeau de Carillon
Crémazie n'a guère laissé plus qu'une trentaine de pièces de vers, et un poème inachevé: la Promenade de Trois Morts. Mais le poète a fait circuler dans ses vers une inspiration généreuse, patriotique, chrétienne, qui s'accordait avec les sentiments des lecteurs canadiens.
Victoire de la Bataille de Fort Carillon |
C'est surtout le sentiment national qui a inspiré Crémazie, avec deux thèmes principaux: la fidélité à la France, et l'amour de la patrie canadienne. Sur ces thèmes Crémazie a construit ses poèmes les plus populaires. Pour la première fois, le patriotisme s'exprimait chez nous avec une telle ampleur. Le Vieux Soldat canadien, Le Drapeau de Carillon, Fête nationale, furent particulièrement applaudis. Crémazie apparut alors à ses contemporains comme un grand poète, assurément le plus grand qui eût encore chanté au Canada.
Mais Crémazie, qui lisait assidûment les poètes de France, et en particulier Victor Hugo, et qui s'intéressait vivement, comme tous ses compatriotes, aux événements qui bouleversaient alors l'Europe, ne pouvait pas ne pas être tenté d'imiter ses modèles français, en particulier Victor Hugo, et de célébrer lui aussi les grands événements de l'histoire contemporaine. La guerre d'Orient, Sur les ruines de Sébastopol. La paix et le chant des Musulmans, sont des poèmes grandiloquents où l'on retrouve quelquefois l'influence du poète des Orientales.
Mais les accents les plus profonds de Crémazie lui sont venus plutôt de certains thèmes généraux, humains, comme ceux qui ont inspiré ses poèmes Les Morts et Promenade de Trois Morts. Il y a dans ce dernier des pages réalistes, macabres, qui sont de mauvais goût, mais l'autre, Les Morts, est probablement le plus beau que nous ait laissé son auteur.
L'art de Crémazie est d'ailleurs insuffisant. Il vécut à une époque où il dut au hasard de ses lectures discipliner son talent. Bien qu'il ait mieux que ses prédécesseurs canadiens manié le vers le vers français, ses poèmes sont souvent lourds. Il ne s'est pas assez soucié d'alléger ses strophes. Cependant, il y a dans l'oeuvre de Crémazie une ferveur patriotique, un souffle profond qui valurent à son auteur de rester pendant un demi-siècle le maître et l'inspirateur de nombreux disciples. Le poète fit école. Crémazie, comme Garneau, conquit l'admiration de ses contemporains. Et, à une époque où la gloire littéraire était facilement accordée, il fut longtemps, à côté de l'historien national, notre poète national.
Mgr Camille Roy, Manuel d'histoire de la littérature canadienne de langue française. Librairie Beauchemin limitée. Montréal, 1955. Pp 42-45.