Martyre des pères Brébeuf et Lalemant |
chargés des cinq bourgades voisines. Ils avaient refusé de suivre les fuyards, et étaient restés pour secourir ceux des chrétiens qui allaient être exposés aux dangers du combat. Au milieu des horreurs de la mêlée, pendant que les décharges de la mousqueterie, les cris des guerriers, les gémissements des blessés formaient autour d'eux une épouvantable confusion de bruit, qui déchiraient les oreilles et attristaient le cœur, les deux missionnaires se tenaient auprès de la brèche, l'un occupé à baptiser les catéchumènes, et l'autre donnant l'absolution à ceux qui étaient déjà chrétiens. Ils furent bientôt saisis eux-mêmes et envoyés avec les autres prisonniers au bourg de Saint-Ignace. En même temps, les vainqueurs expédiaient des éclaireurs pour examiner les défenses de la maison de Sainte-Marie, et, sur leur rapport favorable, le conseil de guerre décida de l'attaquer le lendemain. De leur côté, les Français se préparaient à une vigoureuse défense, tous étant résolus de mourir plutôt que de se rendre. Deux cents Iroquois s'avancèrent en effet; mais ils furent repoussés par des Hurons de la tribu de l'Ours et obligés de se mettre à l'abri derrière ce qui restait de palissade de Saint-Louis. Après plusieurs escarmouches, où tour à tour les deux partis furent vainqueurs et vaincus, les Iroquois restèrent maîtres du champ de bataille; la victoire leur avait cependant coûté cher, car ils avaient perdu près de cent de leurs meilleurs guerriers. Cependant ceux qui étaient entrés au fort de Saint-Ignace voulurent se donner le plaisir de torturer les deux jésuites. Ceux-ci s'attendaient déjà aux tourments réservés aux prisonniers; le P. de Brébeuf avait même, quelque temps auparavant, annoncé sa mort comme prochaine.
Salués à leur arrivée par une rude bastonnade, ils sont attachés au poteau et tourmentés avec le fer et le feu; on leur suspend au cou un collier de haches rougies sur des charbons ; on leur met des ceintures d'écorce, enduites de poix et de résine enflammées ; en dérision du saint baptême on leur verse de l'eau bouillante sur la tête. Quelques Hurons transfuges se montrent les plus cruels et joignent l'insulte à la cruauté : "Tu nous as dit, Echon, répétaient-ils, que plus on souffre en ce monde plus on est heureux dans l'autre: eh bien, nous sommes tes amis, puisque nous te procurons un plus grand bonheur dans le ciel. Remercie-nous des bons services que nous te rendons." Dans le plus fort de ses tourments, le P. Gabriel Lalemant levait les yeux au ciel, joignant les mains et demandant à Dieu du secours. Le P. de Brébeuf demeurait comme un rocher, insensible au fer et au feu, sans pousser un seul cri, ni même un seul soupir. De temps en temps, il élevait la voix pour annoncer la vérité aux infidèles et pour encourager les chrétiens qu'on torturait autour de lui. Irrités de la sainte liberté avec laquelle il leur parlait, ses bourreaux lui coupèrent le nez, lui arrachèrent les lèvres, et lui enfoncèrent un fer rouge dans la bouche. Le héros chrétien conserva le plus grand calme, et son regard était si ferme et si assuré, qu'il semblait encore commander à ses bourreaux.
On amena alors près du P. de Brébeuf son jeune compagnon couvert d'écorces de sapin, auxquelles on se préparait à mettre le feu ; celui-ci se jetant aux pieds du vieux missionnaire, se recommanda à ses prières et répéta les paroles de l'apôtre saint Paul : "Nous avons été mis en spectacle au monde, aux anges et aux hommes". En ramenant le P. Lalemant à son poteau, on alluma les écorces qui le couvraient, et ses bourreaux s'arrêtaient pour goûter le plaisir de le voir brûler lentement et d'entendre les soupirs qu'il ne pouvait s'empêcher de pousser.
Statue de saint Jean de Brébeuf sur la façade du parlement de Québec |
Les tourments du P. de Brébeuf durèrent environ trois heures; il mourut le jour même de sa prise, le seize mars, vers quatre heures du soir. Après sa mort, les barbares lui arrachèrent le cœur qu'ils se partagèrent; ils espéraient que ceux qui en mangeraient obtiendraient une portion du courage de leur victime. Les bourreaux s'acharnèrent alors sur le P. Gabriel Lalemant, qui fut torturé sans interruption jusqu'au lendemain à neuf heures du matin. Encore dut-il de voir terminer alors ses maux, à la compassion d'un Iroquois, qui, fatigué de le voir languir depuis un jour et une nuit, lui donna un coup de hache pour mettre un terme à ses souffrances.
Le Père Gabriel Lalemant, neveu des deux missionnaires de ce nom, n'était au pays des Hurons que depuis six mois. Né à Paris d'une famille distinguée dans la robe, il avait professé les sciences pendant plusieurs années. Malgré la faiblesse de son corps et la délicatesse de sa constitution, depuis plusieurs années il demandait la grâce d'être envoyé dans les pénibles missions du Canada. Quoique arrivé un des derniers sur la scène des combats, il eut le bonheur d'être un des premiers à ravir la couronne du martyre. Il n'était âgé que de trente-neuf ans lorsqu'il eut la gloire de mourir en annonçant l'évangile.
-Abbé Jean-Baptiste-Antoine Ferland, Cours d'Histoire du Canada, Tome I. N.S. Hardy libraire-éditeur. Québec, 1882. Pp. 374-376