Il existe depuis quelques années une association secrète
à laquelle son développement semble promettre une
grande influence dans le monde ancien et nouveau et qui
s’exercera probablement au profit du nouveau sur l’ancien.
En effet, quelques années lui ont suffi pour réunir
plus de cent mille adeptes aux États-Unis, son pays
d’origine, résidence de ses chefs souverains, et, ses bases
étant solidement assises, elle commence à s’étendre sur
notre continent, où elle fonde des clubs ou loges, en
appliquant une prudence extrême au choix des affiliés.
Son nom ne dit rien. Il a par lui-même encore moins
de signification que celui de la franc-maçonnerie, qui
faisait penser aux organisations corporatives des métiers.
Son insigne n’en dit pas davantage. C’est une roue à
six rayons, dont le pourtour est à crans, comme une
pièce d’engrenage. La roue, rota, a fourni le nom à
l’association qui s’appelle Rotary. Le choix de l’insigne
et du nom n’est pas expliqué, mais on peut faire à son
sujet une conjecture qui est au moins vraisemblable.
Les premiers rotariens étaient certainement francs-maçons.
Par habitude maçonnique, ils ont tenu à se
pourvoir d’un signe de reconnaissance et du triangle
maçonnique, ils sont venus à la circonférence dont ils
ont fait la roue pour éviter l’imitation trop manifeste
de la figure de géométrie remplacée par une autre.
Plusieurs imaginent que la roue choisie comme emblème
est la roue de fortune mais cette supposition est peut-être une malignité qui fait allusion au caractère extrêmement
arriviste du Rotary; la première a plus de vraisemblance,
tout en n’étant elle-même qu’une conjecture.
Rotary se défend d’être une société secrète. Effectivement,
elle ne dissimule ni son existence, ni la date
de sa naissance qui est le 23 février 1905, ni le lieu où
elle est née qui est Chicago, ni le nom de son fondateur
qui est l’avocat Paul Harris, ni le domicile de son gouvernement
qui réside à Chicago, 221 East 20th Street,
c’est-à-dire au numéro 221 de la 20e rue Est, ni le nombre
des départements ou divisions de son gouvernement qui
sont vingt-trois, non plus que celui des clubs ou loges
qui sont en ce moment 1,796 et celui des membres affiliés
dans le monde entier qui sont 101,700, chiffre approximatif
à rectifier selon les décès ou adhésions nouvelles.
Rotary déclare également les noms de son président,
de ses trois vice-présidents, des six directeurs qui composent
avec eux le Conseil d’administration, du secrétaire et du trésorier qui est, par hasard, un juif nommé
Rufus. Aucune de ces particularités n’est tenue secrète.
C’est donc la pleine lumière? Non.
On a beau lire, relire et méditer l’aperçu que Rotary
donne de son but et de sa doctrine: on n’y trouve qu’une
paraphrase délayée de sa devise naïvement utilitaire,
laquelle est formulée ainsi: Donner de sa personne avant
de penser à soi. Celui qui sert le mieux bénéficie le plus.
Le babillage à la fois onctueux et réaliste des onze articles
du Code moral de Rotary n’ajoute rien au sens de ce précepte en deux parties dont la première s’absorbe dans
la seconde: Sers bien, c’est le moyen de bénéficier le plus.
Rien ne peut donner une juste idée de la pauvreté, de la
vulgarité, de la platitude, qui caractérisent ce catéchisme
piteux, sans âme, sans élan, sans lettres, issu d’un comptoir,
et qu’on croirait œuvre d’une machine à écrire pourvue
de la faculté d’opérer toute seule par un perfectionnement
de l’outillage.
La doctrine non seulement indigente mais totalement
absente est remplacée par la répétition monotone des
recettes vagues, banales, au surplus usées, décriées, bafouées,
jusque dans les pays anglo-saxons et même à
Genève: « Souviens-toi que tu es un homme moral... Tout
en faisant des affaires, veille à ce que chacun de tes actes
élève le niveau moral de l'humanité. »
Il est peu probable que des avocats, des spéculateurs,
des chefs d’entreprises, des armateurs, des importateurs
et exportateurs, des remueurs de millions et surtout des
Américains, s’affilient sous l’emblème de la roue, fondent
1,796 clubs dans le monde entier, se nomment un chef
souverain, instituent 23 sous-ministères installés dans des
bureaux de 12,000 pieds carrés de surface, pour se communiquer
entre eux l’avis d’être « hommes moraux » et
de ne jamais faire un coup de bourse sans penser à « l’élévation du niveau moral de l’humanité ».
Il y a donc derrière cet étalage public de noms,
adresses, renseignements, d’annuaires habillés d’une phraséologie
inepte, quelque chose de consistant, et sinon une
pensée, du moins un calcul, une combinaison. En effet.
La règle de Rotary réprouve strictement l’admission
dans un même club de deux ou plusieurs membres appartenant
à la même profession: il n’en faut qu'un seul, de
même qu’en général il ne doit exister qu’un club dans
chaque ville. Évidemment, Paris, où il s’en trouve un
seul fondé en 1920, est assez vaste pour en posséder plusieurs,
mais des villes telles que Reims, Roubaix, Lille
et probablement même Bordeaux, Marseille, Lyon, n’auront
de place que pour un.
L’idée inspiratrice de cette limitation rigoureuse est
facilement perceptible.
Les premiers rotariens étaient des francs-maçons, et
ces francs-maçons étaient des Américains mêlés aux
grandes affaires. Comme tels, c’est-à-dire en hommes habiles à gagner de l’argent, en même temps qu’accoutumés
par snobisme social à un certain rigorisme quant
à la tenue, au genre de vie, aux fréquentations hors des
bureaux, ils se piquaient d’être gentlemen, c’est-à-dire de
faire figure d’hommes du monde une fois les bureaux
fermés et d’éviter dans la pratique des affaires ce qui
pouvait rendre discutable cette qualification à laquelle
ils tenaient fermement.
Ils ont été frappés, déçus, dégoûtés par l'encombrement
de la franc-maçonnerie et par son avilissement, résultat
de l’encombrement. Tout gentleman, puisque gentleman il
y a, que l’ambition, l’illusion ou quelque autre circonstance
a jeté dans la vie maçonnique et qui promène un
regard clairvoyant sur son milieu, est envahi automatiquement
et avec véhémence par la conviction qu’il s’est
fourvoyé dans un rôle imbécile ou méprisable. Tel fut
le sentiment des premiers rotariens dans le grouillement
de cette cohue.
« Un seul homme de chaque profession dans chaque
club, et au surplus cet homme devra posséder une fortune,
un emploi, une éducation, une réputation au-dessus de
la moyenne, et sa profession sera elle-même au-dessus
de la moyenne. » De la sorte, pas de concurrence, pas
de quémandeurs de petits emplois, pas de chasseurs de
petits profits, pas de favoritisme et de népotisme trivial.
En d’autres termes, Rotary ne veut pas de gens qui se
disputent les rogatons et se battent autour de la poêle
aux détritus. Établir la séparation des serviettes et des
torchons, du smoking et du veston taché par l’apéritif,
du Palace-Club et du Café du Commerce, du bridge et
de la manille parlée, tel est son but. Et puis, un seul
brochet par étang.
D’autre part, cette association conquérante des sommets
est américaine. Sur 1,796 loges existantes, les
États-Unis en possèdent 1,506. Le surplus se répartit en proportion exacte avec la diffusion des Américains
et de l’esprit anglo-saxon. Le plus grand nombre est au
Canada, à Cuba et dans la Grande-Bretagne, qui possède
déjà 155 loges. Il n’en existe, sauf erreur, que 3 sur le
continent: à Paris, à Milan, à Zurich, mais plusieurs sont
en préparation. La première sera probablement à Genève,
où l’influence anglo-américaine prédomine.
Rotary est donc une création de l’esprit de conquête
anglo-saxon, qui met à profit l’état de dégradation maçonnique de la plupart des nations du continent européen.
Aucun doute ne peut être conçu à cet égard. Cet
aperçu est suffisant pour le moment.
-Achille Plista, Le Club Rotary et la maçonnerie - Une franc-maçonnerie nouvelle: International Rotaty. Civilta Cattolica, Rome. 1928. Pp 22-26.