« La parole est dans le cœur de l'insensé comme une flèche fixée dans la cuisse d'un chien » -Ecclésiaste 19, 12. |
prochain au moyen de paroles secrètes. On peut, en effet, blesser quelqu'un en paroles de deux manières: ouvertement et en face, et c'est alors une injure; en secret et pendant son absence, et c'est une médisance.
Palladius raconte que quelqu'un ayant demandé à saint Antoine ce que c'était que la médisance, saint Antoine répondit: C'est toute espèce de mauvais discours que nous n'osons pas tenir en présence de la personne dont nous parlons...
Ce sont bien là, en effet, les dispositions des médisants: quand ils ne peuvent pas nuire aux absents par leurs actions, ils les frappent de leur langue. Or, dit saint Thomas d'Aquin, « c'est un mal très grave que de ravir à quelqu'un sa réputation. » - « Médire est un grand vice, dit saint Bernard, un grand péché, un grand crime. »
Il y a surtout huit manières par lesquelles ont peut médire du prochain:
- Lorsque, emportés par la vanité, nous lui imputons des choses qui ne sont pas; quand nous ajoutons à la vérité des circonstances imaginaires qui constituent un mensonge ou une médisance.
- Quand nous mettons en lumière un défaut caché et inconnu. Ce que nous disons est vrai, mais il ne fallait pas le dire; nous médisons non pas en manquant à la vérité; mais en blessant la réputation du prochain: c'est une faute bien commune parmi nous. Mais quoi, dira-t-on, il ne serait pas même permis de dire la vérité? Non, mon ami, cela n'est pas permis, à moins que vous ne le fassiez sans préjudice pour votre prochain. J'avoue que ce que vous dites est vrai, mais il est caché, et si le coupable a blessé sa conscience aux yeux de Dieu, cependant il n'a pas perdu sa réputation devant les hommes; vous ne devez donc point l'affaiblir ou l'enlever par votre langue. Et quand même la faute que vous révélez n'est pas tout-à-fait secrète, dès qu'elle n'est pas publique, vous commettez une médisance en la découvrant à qui l'ignore. Vous faites donc tort au prochain.
- Lorsqu'on exagère un crime vrai ou faux; et c'est là un danger auquel on est fort exposé quand on parle des vices d'autrui.
- Lorsqu'on raconte d'autrui une chose nullement mauvaise, mais en la donnant comme ayant été faite dans un dessein coupable, et en y ajoutant diverses explications, celles-ci par exemple: il a fait cela, il est vrai, mais il ne l'a pas fait en vue de Dieu; il n'est pas si pieux que cela; il cherche à plaire aux hommes, il veut paraître; connaissez bien cet homme, c'est un hypocrite.
- Quand celui qui calomnie n'affirme rien et se contente de dire: Je l'ai ouï raconter, le bruit en court; ou quand il rapporte la chose comme douteuse: un tel pourrait bien n'être pas ce qu'on pense, je ne crois point qu'il mérite confiance; ses voisins ne savent rien de sa sainteté, sinon que c'est depuis hier seulement qu'on commence à le ranger parmi les dévots; ou quand on loue quelqu'un avec froideur et réticence, car, dit Aulu-Gelle, il est plus honteux d'être loué avec réserve et froideur que d'être blâmé avec vigueur et âpreté. Toutes ces manières de faire doivent être évitées avec le plus grand soin, car le mal est toujours plus recherché que le bien.
- La médisance est tellement subtile qu'on peut diffamer par un simple geste. Vous entendez louer quelqu'un pour sa probité, sa religion, sa libéralité, et vous dites: Je le vois, vous ne connaissez pas cet homme; interrogez-moi sur son compte, je le sais par cœur. Ou bien vous froncez le sourcil et vous vous taisez; vous faites de la tête un signe négatif, ou enfin vous donnez à entendre par le mouvement de vos yeux que la personne dont on fait l'éloge n'en est pas digne. Quelquefois aussi le médisant, tout en fermant la bouche, tourne deux ou trois fois la main pour signifier que l'homme dont on parle est un esprit léger qui change d'heure en heure.
- On peut médire non seulement par des signes et des mouvements du corps, mais encore par le silence, en se taisant méchamment sur la probité et les mœurs d'une personne, surtout quand on est interrogé, ou que le prochain est accusé de quelque crime.
- Enfin on se rend coupable de médisance, lorsqu'étant repris devant les autres d'une faute qu'on a commise, on nie qu'on soit coupable, car on fait passer celui qui nous reprend pour un menteur. Sans doute, on n'est pas obligé d'avouer en public des fautes commises en secret, mais il faut se justifier autrement, en disant par exemple: ce sont là des paroles, mais non des preuves; celui qui a entendu cela a pu se tromper; il ne faut pas croire tout ce qui se débite. Cette façon de parler est beaucoup plus supportable que la première.
-Abbé Bélet, Les défauts de la langue: La langue médisante. Oeuvre de la Propagande. Tourcoing, 1870. Pp 4-8.