« Le langage de
l’homme permet de conclure de sa nationalité; ainsi peut-on savoir d’un homme
s’il est de l’enfer quand il parle la langue du démon. »
-François Spirago
Du « purisme » à l’affirmation du « canadianisme »
Jusqu’au début du 20ième siècle, les intellectuels canadiens-français ont prôné en matière de langue ce que l’on appelle le « purisme ». Face à la menace de l’anglicisation, toute déviation du français classique était considérée comme le cheval de Troie qui allait saper l’identité. La position du clergé et des intellectuels était légitime, considérant la situation précaire de notre peuple en Amérique du Nord. Le chanoine Lionel Groulx défendait cependant les « canadianismes ». Il affirmait déjà, en 1906, l’existence de la nation canadienne-française, de son langage et de ses particularités - sous le pseudonyme de « Lionel Montal »:
« Si nous sommes
restés Français, nous le devons à nous même. Nous ne le devons nullement à la
France. Et il est bon de s’en souvenir quand les francisateurs fanatisés
voudraient arracher à notre vocabulaire ses archaïsmes et ses canadianismes.
Nous devons avoir le droit de réglementer dans l’ordre, mais comme il nous
plaira, le patrimoine que nous avons défendu et conservé, sans le secours
étranger, par notre seul courage et notre seul effort. » (L’Album universel, Montréal, 28 juill.
1906, p.396)
Dans le camp du français classique, comme
dans le camp du canadianisme, il n’était pas question des blasphèmes, des
« sacres ». Peu importe l’école de pensée, le respect du deuxième
commandement de Dieu allait de soi. Ce vice était répandu dans toutes les
langues des pays chrétiens, mais le péché d’imprécation (sacres) n’était pas
encore notre vice national, le « sacreur » était mal vu.
Monseigneur Ignace Bourget |
La Ligue catholique des voyageurs de commerce entreprenait, en 1920, une campagne provinciale
contre le blasphème. Dans une brochure, publiée
à cette occasion, le père Dugré fait remarquer :
« D'abord les bons, l'immense majorité de ceux qui, Dieu merci!, ne sont pas affligés de ce vice, tous les bons, hommes et femmes, devront cesser leur indulgence bonasse qui fait qu'un vaurien qui jure est redouté précisément parce qu'il jure. »
Il en a été ainsi jusqu’à la fin des années 1960, où le
joual a été transformé en fusil à deux canons par le mouvement révolutionnaire de
la « contre-culture ».
Le joual comme outil révolutionnaire
Les pères de la Révolution tranquille, cette petite clique gauchiste que l’on retrouve derrière toutes les magouilles anticléricales à partir des années 1950, allaient faire un double usage de la question du joual.
Jean-Paul Desbiens et Jacques Hébert, en mai 1965. |
L’éditeur anticlérical Jacques Hébert allait jouer un rôle
clé dans la fusion du joual et des jurons, comme nous le verrons plus loin.
Pour l’instant il se contenta d’imprimer des dizaines de milliers de copies des
Insolences. Ce débat, initié par le
duo Laurendeau – Desbiens, allait favoriser le travail de la Commission
Parent de 1961-1966, ou le frère Desbiens fût consulté comme expert, puis de
la déconfessionnalisation du système d’éducation du Québec.
Jacques Hébert, qui venait de faire un coup de maître contre
le Canada français catholique en épaulant le frère Untel, passa rapidement à
l’étape suivante. Le clergé était mis en échec et la culture était entre les
mains des pères de la Révolution dès l’aboutissement de la commission Parent.
Après avoir ressuscité la vielle cause « puriste » pour un premier
coup de fusil, il allait maintenant publier les auteurs d’un nouveau joual
« littéraire » parsemé de sacres. Ce vice existait depuis toujours et
on l’avait combattu, mais il allait finalement être officialisé sur papier.
Michel Tremblay et la troupe des "belles sœurs". |
Avec l’aide des infiltrés socialistes à Radio-Canada, c’est
lui qui allait nous dénicher le célèbre Michel Tremblay, dont les
« œuvres » étaient une sorte de psychanalyse freudienne de la société
canadienne-française, désormais « québécoise », traumatisée par l’ancien
régime. Jacques Hébert, après avoir soutenu la campagne des puristes contre
l’enseignement des religieux, devenait le principal éditeur des auteurs qui
osaient faire sacrer leurs personnages dans un joual qui défiait toutes les
normes littéraires.
À peine 10 ans plus tard, les auteurs comme Michel Tremblay
et Roch Carrier, propulsés par Jacques Hébert et le réseau gauchiste avaient
déjà publié des dizaines de romans ou pièces de théâtre dont les textes étaient
parsemés de sacres et autres obscénités. Les
belles-sœurs de Tremblay et La
guerre, yes sir! de Roch Carrier sont des exemples parmi tant d’autres.
Le premier coup de fusil – la campagne puriste de Laurendeau
et du frère Untel - couchait le clergé canadien-français, qui allait de toute
façon renoncer à son rôle de berger à cause de l’esprit de Vatican II.
Le deuxième coup – la promotion d’un joual immonde et
dénaturé - était pour le troupeau, le peuple canadien-français, qui allait s’en
sortir avec une plaie infectée qui suinte encore aujourd’hui.
Une culture de sacres
Justin et Alexandre Trudeau aux funérailles de Jacques Hébert en décembre 2007 |
À force de réécrire l’histoire, André Laurendeau et le frère
Desbiens se sont eux-mêmes convaincus qu’ils avaient inventé le terme
« joual » en 1960. En vérité, cette
expression, dérivée du mot « cheval » en patois canadien, apparaissait
déjà dans certains journaux vers 1930.
Les auteurs propulsés par Hébert, Michel Tremblay en tête,
sont aujourd’hui présentés comme les pères du joual et les pionniers de la
nouvelle culture littéraire du Québec dans tous les cours de français, de
l’école primaire à l’Université. Ce
n’est pas à la gloire du Québec « moderne et ouvert ».
Sources:
Linguistique : sacrées affaires de jurons!, Gilles Bibeau, Québec français, n° 43, 1981, p. 19.
Le "sacre" dans les oeuvres de Michel Tremblay et Roch Carrier, Carmen Helen Garon B.A., Mcmaster University, Oct. 1973
Les insolences du Frère Untel, Jean-Paul Desbiens, 1960
Trésor de la langue française au Québec (XXII), Paul Laurendeau, Québec français, n° 67, 1987, p. 40-41.
Les prêtres et religieux du Canada français - observateurs de la langue et collecteurs de mots, Wim Remysen et Louis Mercier, Université de Sherbrooke