mardi 4 août 2015

Georges-Henri Lévesque - Traître à la patrie et hérétique

"Tout le monde sait dans quel esprit le Père George-Henri Lévesque, dominicain, a organisé la Faculté des Sciences sociales de l'université Laval. Il en a fait un foyer de gauchisme..."

Robert Rumilly - l'Infiltration gauchiste au Canada-Français, 1956



Un lecteur nous partage ici une trouvaille. Le nom du Père Georges-Henri Lévesque est bien connu par ceux qui sont au fait de l'histoire du Québec et de la Révolution tranquille.

Toutefois, ses réelles intentions et les véritables objectifs de la Faculté des Sciences sociales de L'Université Laval n'ont jamais été aussi clairement exposés que dans cette entrevue donné par le dominicain à un contemporain de la Faculté en mai 1996.

Ses affiliations marxistes, son anticléricalisme agressif, ses procès à Rome pour hérésies et ses magouilles en vue de la révolution, le Père Georges-Henri Lévesque nous livre ici tout un témoignage sur ses véritables affiliations.

Bonne lecture.

***

Le père Georges-Henri Lévesque et sa première cohorte à l'Université Laval.

À l’occasion du décès de George-Henri Lévesque le 15 janvier 2000, et dans le but de souligner l’importance que revêt sa pensée pour la société québécoise, nous publions à nouveau l’entrevue qu’il avait accordée à Richard Fortin dans notre édition de mai 1996.


QUAND LA SOCIOLOGIE SERVAIT À QUELQUE CHOSE

ENTREVUE AVEC GEORGES-HENRI LÉVESQUE

Richard FORTIN

Publié dans Aspects sociologiques, vol 8, no 1-2, printemps 2001, pp. 8-14. 2

J'ai compris aux dernières élections provinciales pourquoi je n'aimais pas le fédéralisme. Je me suis dit : « il doit pourtant bien exister quelque part une façon de défendre cette idée qui ne constitue pas une injure à l'intelligence ». Eh bien Aspects sociologiques a rencontré pour vous l'un des rares qui possède encore une opinion cohérente sur le sujet : Le Père Dominicain Georges-Henri Lévesque, fondateur de la faculté de sciences sociales de L'université Laval (à l'intérieur de laquelle vous étudiez actuellement), l'un des pères de la Révolution tranquille et celui qui fut un jour qualifié de prophète par Fernand Dumont :

Richard Fortin - Mon Père, qu'est-ce que vous n'aimez pas dans l'idée d'un Québec souverain?

Georges-Henri Lévesque - C'est l'idée de perdre ce qui nous appartient au Canada. Le Canada appartient aussi à ceux qu’on appelle les Québécois, pas question pour nous de le perdre, on est chez nous. Quand la Nouvelle-France a été créée par les Français, elle s'étendait jusqu'en Louisiane, donc ce pays-là est encore à nous. Parce que ce Canada-là c’est autant le pays des Français que celui des Anglais. On a fait autant pour eux, pour le Canada, qu’eux en ont fait, et on l'a fait bien avant eux.
En 1942 j'ai fait partie de la commission Massé pour l'avancement des arts, des sciences et des lettres au Canada et là, avec mes collègues, je me suis battu pour que Radio-Canada ne soit pas une simple Radio Québec, qu'elle soit d'Halifax à Vancouver. J'ai dit : « si vous voulez l'égalité des deux groupes ethniques, il faut ça ». Je me suis battu, et je l'ai eu. Ils ont créé Radio-Canada et l'Office National du Film suite au rapport de cette commission.

Ce qu’il nous faut c’est un statut particulier et ensuite finis les dix provinces; c’est un monstre! géopolitiquement parlant, avec la petite Ile du Prince-Édouard qui a le même vote que l'Ontario et le Québec. Voyons donc! Il nous faut cinq régions : Les maritimes, incluant Terre-Neuve, le Québec, l'Ontario, les Prairies, et enfin la Colombie-Britannique, une province à part et très américanisée d'ailleurs.

Pierre Elliott Trudeau: copain comme cochon
R.F. - Pensez-vous que c'est encore réaliste de penser comme ça dans la situation actuelle?

G-H.L - Non, il y a tellement de choses établies. Mais c’est à nous de garder le Québec français à l'intérieur du Canada, mais avec un statut particulier, ce qui choque Trudeau. La dernière fois que je l'ai rencontré, il m'a dit : « vous croyez encore à votre maudit statut particulier? ». J'ai dit : « plus que jamais Pierre et tu vas voir que ça s'en vient », pas une séparation mais un statut particulier avec plus de pouvoirs pour le Québec.

R.F. - Mais la clause de société distincte serait-elle suffisante pour vous ?

G-H.L - La société distincte non, mais c'est un commencement. C'est le pouvoir des mots. Les mots ont leur pouvoir dans certains esprits et ces esprits-là se multiplient, se multiplient...

R.F. - Le Canada est donc appelé à changer?

G-H.L - Ça se fait actuellement. Beaucoup de gens m'ont écrit pour me dire : « continuez à prêcher en faveur de ces changements », et parmi eux des Anglais.

R.F. - Comment réagissez-vous devant l'éventualité d'un autre référendum?

G-H.L - Je suis en faveur et j'accepte d'avance le résultat. Je suis un démocrate, mais je ne pense pas que ça aboutisse à la souveraineté même si c’est venu près en octobre dernier.

R.F. - Vous pensez qu'au prochain référendum ça va encore être non?

G-H.L - Je le pense, d'après les gens que je rencontre.

R.F. - Mais beaucoup de gens parlent comme si c'était déjà fait, comme si c'était une question de détails, vous pensez que ce n'est pas vrai?

G-H.L - Ça dépend qui vous rencontrez.

R.F. - Que pensez-vous de la question de la partition?

G-H.L - La partition je trouve que c’est un faux débat. Il ne faut pas du tout, du tout, du tout séparer Montréal du reste du Québec. Si c’est ça qui arrive, Montréal ne veut plus dire grand-chose. Ah non!, gardons le Canada et restons au Canada, mais avec un statut particulier et beaucoup de pouvoirs pour le Québec. L'équivalent du rapport Allaire par exemple.

R.F. - Pour en venir à la question de la création de la faculté des sciences sociales, j'ai l'impression qu'il existait une grande dimension d'apostolat social dans la sociologie telle que vous l'enseigniez à l'époque, dans le sens où vous formiez des gens aussi dans un but d'action apostolique.

G-H.L - Pour l'action sociale!, on formait pour l'action sociale. Je formais mes étudiants pour l'enseignement ou bien pour l'action sociale. Pour l'action apostolique, pas du tout. J'ai fondé une faculté de sciences sociales académique et théorique dès le premier cours. J'ai fondé la faculté pour former des sociologues, des économistes, etc., pour qu'ils puissent enseigner d'abord. La plupart sont devenus sociologues, d'autres sont entrés dans l'action. Je formais des gens capables d'enseigner et d'agir. Où, je ne le savais pas, il fallait commencer par ouvrir des débouchés. Il n’y avait pas de débouchés à ce moment-là pour les sociologues, pour les politicologues encore moins.

R.F. - En créant la faculté vous aviez donc une volonté d'action sociale?
G-H.L - Inévitablement. Quand tu formes des savants... Avant d'agir sur le Québec, il faut le connaître.

R.F. - Vous saviez aussi que la Révolution tranquille s'en venait, c'est aussi en fonction de cela que vous avez créé la faculté pour prévenir les dangers que l'évolution sociale pouvait créer, et former des gens pour réaliser la révolution?

G-H.L - Bien oui, absolument, parce qu’on venait de passer la crise de 29, il y avait du chômage, toute sorte de choses. Oui, ce n’est pas pour rien qu’on m'a appelé le père de la Révolution tranquille, mais je n'étais pas tout seul là dans cette paternité. Je n’ai jamais été en contrôle.
Karl Marx, influence du père Lévesque

R.F. - Mais plusieurs personnes que j'ai interviewées pour ma maîtrise m'ont dit : « j'ai pensé devenir prêtre, mais j'ai choisi la sociologie ». Elles voyaient là une solution de continuité. Ceux qui voulaient faire de l'action sociale pouvaient en faire à travers la sociologie; ils troquaient l'action apostolique pour l'action sociale.


G-H.L - L'action sociale oui! L'abbé Dion par exemple, un de mes premiers élèves, n'a jamais pensé faire de l'action catholique, mais de l'action sociale oui, et c’est pour cela que je l'ai nommé directeur du département de relations industrielles.

R.F. - Mais vous, vous avez fait de l'action catholique durant vos années de formation et d'enseignement?


G-H.L - Je n’ai jamais fait d'action catholique. J'ai écrit sur L'Action Catholique. J'ai fait surtout de l'action sociale.

R.F. - Mais quand vous étudiiez à Lille en France et que vous alliez en Belgique les fins de semaines.


G-H.L - J'allais faire de l'action sociale pas de l'action catholique. J'y allais avec le père Ruthen, un autre dominicain, qui était le secrétaire général du mouvement social Chrétien. J'étudiais la théorie en France, avec de bons sociologues comme le père Delos par exemple, un dominicain qui a eu une grande influence sur moi parce qu'on vivait dans le même couvant, et que c'était mon professeur de sociologie. Mais on faisait de la sociologie; on étudiait Durkheim, Comte, Marx aussi, de la vraie sociologie comme aujourd'hui.

R.F. - Mais existait-il un lien très étroit entre la sociologie d'action sociale telle que vous la conceviez et l'action catholique?


G-H.L - L'Action catholique se situait sur un plan surnaturel, supérieur, tandis que l'action sociale se situe, elle, sur le plan terrestre. Par exemple, la JEC (Jeunesse Étudiante Catholique) n'était pas un mouvement d'action sociale, c'était un mouvement D'Action Catholique. Dans ces mouvements on était dans le domaine religieux, surnaturel; il s'agissait de former des chrétiens, tandis que dans l'action sociale on formait des économistes, des politicologues, des sociologues, etc.

R.F. - Mais la JEC par exemple, c'était de l'action catholique, mais c'était aussi de l'action sociale non?

G-H.L - La JEC agissait dans les écoles pour faire un peu de social, mais c'était surtout des mouvements d'action catholique créés pour maintenir « l'influence » évangélique. Ils voulaient christianiser la classe ouvrière, étudiante, etc. Ce n'est pas l'Église qui a inventé ces mouvements, ce sont des laïcs la plupart du temps. En même temps ils touchaient au social : la première chose à christianiser ce n'était pas tellement les individus, mais la société. C'était des mouvements sociaux pour embrigader la jeunesse, etc.

R.F. - Pourquoi alors avoir baptisé le département de sociologie du nom de « département de sociologie et de morale sociale »?

G-H.L - C'est moi qui ai fait ajouter « de morale sociale ». Pourquoi? Tout simplement pour le faire accepter par le clergé d'alors, pour lui faire avaler, parce qu'il pensait tout de suite que Auguste Comte s'installerait à l'Université Laval.

À un moment donné l'ambassadeur de France m'avait conseillé un nommé Marcel Clément comme sociologue, mais je me suis aperçu qu'il faisait de l'apostolat dans ses cours. J'ai dit : « écoutez; je vous ai demandé d'enseigner la sociologie du travail », il transformait ça en apostolat. Ensuite il a commencé à dire que ses collègues, certains professeurs, qui ne parlaient pas du bon dieu dans leurs cours, n'étaient pas de bons Chrétiens. Il visait Lamontagne, Falardeau. Je me suis dit: «touches pas à ces gars-là toi». Je l'ai fait venir à mon bureau et je lui ai dit: «vous allez cesser de faire de l'apostolat dans vos cours, je vous ai demandé de faire de la sociologie du travail, un point c’est tout et vous m'avez été recommandé par François Perrot », un grand économiste à l'Université de Paris pour lequel j'avais beaucoup d'admiration. « Je vous ai invité pour enseigner et non pas pour faire des sermons », etc. Il est parti en me disant : « vous ne voulez pas que je fasse ce genre de cours? ». J'ai dit « non, je regrette. Si vous ne cessez pas... ». Finalement, il est parti. Je l'ai remercié, la seule fois dans ma vie. Il était en train de démolir la faculté parce que c’était une faculté de sciences sociales et il en faisait une institution d'apostolat. Alors il est parti et ensuite il m'a écrit une lettre me disant que je luttais contre le Saint-Esprit parce que lui était inspiré par le Saint-Esprit. J'avais un gros concurrent n'est-ce pas?! Les sciences sociales ça n'a pas été facile et puis en face il y avait la faculté de droit qui formait des avocats mais des avocats qui, parce qu’avocat, occupaient tous les postes importants dans la société, même ceux qui possédaient un caractère social.

R.F. - Qu'est-ce que L'Église n'aimait pas dans le positivisme?

G-H.L - Si je vous disais que lorsque j'ai fondé la faculté, je suis allé à la bibliothèque générale de l'Université. Tout ce que j'y ai découvert de sociologique et d'économique était dans ce qu'on appelait « l'enfer » (censuré). Je les ai trouvés et je les ai sortis de « l'enfer » des Messieurs du séminaire qui ne savaient pas ce que c'était.
Mgr Courchesne, archevêque de Rimouski
L'un des opposants à l'avant-Révolution.

R.F. - Mais il existait aussi des cours où vous faisiez réfléchir vos étudiants sur l'action sociale?

G-H.L - Mon cours principal était le cours de philosophie économique. J'ai inventé par la suite le cours « morale et technique de l'action ». Je me suis aperçu que les élèves qui nous arrivaient des cours classiques n’étaient pas préparés du tout, du tout, au passage à l'Université. Alors j'ai inventé un cours de morale et technique de l'action de mon propre cru dans lequel j'ai mis pas mal de choses tout simplement pour les initier, à travers les mots techniques de l'action, aux disciplines positives.

R.F. - Alors pourquoi avez-vous créé d'abord des départements ayant un caractère pratique : service social, économique, relations industrielles?

G-H.L - Parce qu'il fallait que je crée quelque chose de pratique parce que tout le monde disait...

R.F. - Pour pouvoir vendre l'idée à l'Église?

G-H.L - À la population, pas à l'Église, à l'Église c’était déjà vendu. À la population parce que les avocats et les politiciens disaient : « c’est une école de rêveurs en chambre, de pelleteux de nuages ». Duplessis disait : « Qui dit social dit socialisme, qui dit socialisme dit communisme : Lévesque est un communiste ». Quand on a fondé le service social, les Dames des bonnes œuvres, qui étaient très bien vues dans la société et qui se dévouaient aux classes pauvres, etc., ont vu tout de suite qu’elles seraient remplacées par des travailleuses sociales. Alors elles ont fait une propagande en disant qu'on était protestant, parce que « social work» c'était protestant. « Sociologie » c'était Auguste Comte et « social work » c'était protestant. J'étais « pogné » avec ça tout le temps et certains Évêques se laissaient impressionner par ça, dont Monseigneur Courchesnec par exemple, un « catholicard », « confessionnaleux » au possible. Quand j'ai écrit mon article sur la non-confessionnalité des coopératives, j'ai frappé dans la chose la plus sûre. La non-confessionnalité des coopératives, pas des syndicats. Les syndicats, ça je savais que ça viendrait à travers mes anciens élèves : ils contrôlaient les syndicats, mais pas au nom de l'Église, ils étaient élus : des gars comme Jean Marchand.
Ensuite j'ai fondé un département de recherches sociales et j'ai fait venir Everett Hughes de l'Université de Chicago pour diriger les enquêtes sociales.

R.F. - Dans L'Action Catholique on faisait aussi des enquêtes sociales très semblables aux monographies que faisaient vos sociologues?

G-H.L - Bien sûr, mais je l'ai fait venir pour diriger les enquêtes sociales, pas du point de vue catholique, mais comme sociologue. Je l'ai fait venir et plus que ça, j'ai tout expliqué au Cardinal Villeneuve...

Hughes avait été le professeur de Falardeau. Quand j'ai décidé de faire de « l'inbreeding », de faire de « l'élevage », comme avec un troupeau de bonne race, j'ai choisi des étudiants que j'ai envoyé à Chicago (Falardeau), Maurice Lamontagne d'économique à Harvard avec Galbraith, etc.


R.F. - Votre insistance sur les recherches monographiques visait donc un but pratique : connaître le Québec pour pouvoir suivre son évolution?

G-H.L - Pour savoir ce que c’était que le Québec, c’est ça oui. Les trois premières années on a organisé, durant l'été, des cours coopératifs parce que j’étais en même temps président du conseil de la coopération du Québec que j'avais fondé parce que j'avais été très impressionné par le mouvement coopératif belge, très impressionné par ses membres. Je suis revenu d'Europe avec deux buts : fonder une faculté de sciences sociales et fonder le conseil de la coopération pour unifier tout le mouvement coopératif. Il existait des mouvements coopératifs. On a fondé le conseil de la coopération avec son siège social à la faculté dans la salle du conseil de l’Université Laval pour commencer. Mais le siège social n'était pas à l'Université.

R.F. - C'était provocateur ça.

Mgr Montini, futur Paul VI
Le protecteur romain du père Lévesque
G-H.L - Un peu oui! Ce n’est pas pour rien que j'ai eu trois procès à Rome pour hérésie dont un au Saint-Office (rappelons que le procès de Galilée s'est déroulé au Saint-Office). C'était Ottaviani qui le dirigeait; un « tough ». Monseigneur Montini, future Paul VI était parmi ceux qui me défendaient là-bas.

R.F. - Et le Thomisme là-dedans? Je cite vos mémoires : « Il s'agit d'une véritable sagesse qui s'intéresse surtout à l'idée d'ordre, (...) qui jette un regard sur l'univers et son auteur. Un Dieu tout puissant (...) en qui on ne trouve aucune trace de je ne sais quelle chasse gardée ontologique où l'être humain ferait son petit bonhomme de chemin hors de la portée divine. ». Pour parler entre sociologues de l'objet sociologique, le social, cette vision est très différente d'un objet positiviste, comme si derrière l'objet positif du sociologue il y avait Dieu.

G-H.L - Oui, mais commençons par la position du philosophe : la philosophie c’est une sagesse et Aristote a dit, et St-Thomas l'a répété : « sapiens tises ordinare », l'objet de la sagesse, et de l'action du sage, c'est l'autre. Alors, quel ordre? D'abord celui à faire dans les opérations de notre esprit; le syllogisme, la technique de la simple appréhension en sociologie, tout ça. Ensuite, l'ordre à faire dans sa vie personnelle : la morale, l'ordre et toutes les techniques de formation personnelle. Tout ça se réunit dans la notion d'ordre. Ensuite le sociologue et le philosophe doivent chercher dans la nature l'ordre qu’on y trouve : universel, universel - celui qui l'a créé.

Le Cardinal Ottaviani,  un pourfendeur d'hérésies
R.F. - Mais en tant que sociologue, quand vous conceptualisez le social, voyez-vous derrière la volonté de Dieu, sa présence?

G-H.L - Ah non, pas du tout. La société est une création des Hommes. J'y vois la présence de la liberté humaine, des libertés personnelles qui s'associent et qui créent l'autorité, parce que l'autorité vient de Dieu, mais après la liberté. Ce qui sort des mains du créateur c’est une personne libre et plusieurs personnes libres s'associent, forment une société pour laquelle il faut tout de même qu'il y ait un principe unificateur; c'est l'autorité. Une autorité créée par les libertés. Je ne pense pas à Dieu dans ce temps là. J'y pense dans l'ordre de la création, c’est lui qui nous crée.

R.F. - Mon impression c'est que la création des sciences sociales, de L'Action Catholique et de syndicats catholiques a constitué pour l'Église un moyen de réagir à la baisse de son pouvoir sur la société.

G-H.L - Ce n'est pas L'Église qui a inventé la faculté des sciences sociales à Québec. C'est moi, avec l'appui de l'Université Laval et des Dominicains.

R.F. - L'Église ne vous a pas appuyé?

G-H.L - Le cardinal Villeneuve, archevêque de Québec, oui.

R.F. - Mais l'Église, par exemple, a créé les syndicats catholiques pour éviter qu'ils ne deviennent des syndicats laïcs et à la limite des syndicats communistes.

G-H.L - Un peu oui, un peu, mais l'Église pensait tout simplement à sa mission évangélisatrice. On fondait les syndicats catholiques pour lutter contre les organisations syndicales neutres comme la CTCC.

R.F. - Mais pourquoi l'Église ne voulait-elle pas de syndicats neutres au point qu'elle créait elle-même des syndicats?

G-H.L - Tout simplement pour maintenir son influence chrétienne, qui n'était pas une domination. C'est très nuancé. Je ne pense pas qu'elle ait eu l'idée de contrôler. C'était tout simplement la continuation, dans certains milieux, de sa mission évangélisatrice.
R.F. - Une simple adaptation?

G-H.L - Oui. Mais les syndicats catholiques c’est autre chose. Dans les syndicats catholiques, ce sont les syndicats eux-mêmes qui ont demandé des aumôniers, petit à petit.

R.F. - Diriez-vous alors que l'Église a créé des institutions comme L'Action Catholique et les syndicats catholiques pour préserver certaines valeurs chrétiennes dans la société?

G-H.L - C'est très juste ça. C'est ça oui! C'était la position de l'Église. Et promouvoir les valeurs humaines aussi.

R.F. -Peut-on dire alors que l'Église a créé ces institutions pour essayer de sauvegarder son influence, mais qu'en faisant cela elle s'est tirée dans le pied parce qu'elle a permis l'introduction dans ces institutions de gens qui étaient plus ou moins d'accord avec elle?

G-H.L - Oui, c'est comme tous les gens qu'elle baptise, on ne sait jamais ce qu'ils vont devenir. Ce sont les laïcs qui ont fini par gagner dans ces institutions, parce que les grands de L'Action Catholique ça été Guy Rocher, Jeanne Sauvé, etc. Guy Rocher, que j'ai envoyé étudier à Harvard, était un chef de L'Action Catholique. Un seul de mes professeurs est allé étudier dans une Université catholique, il a fait aussi de l'action catholique.

Jeunes de la Jeunesse étudiante catholique (JEC)
Ce groupe, d'abord catholique, fut infiltré par la gauche et devint
un foyer de propagation du communisme. Plusieurs figures de la
Révolution tranquille proviennent de ses rangs.
R.F. - Mon hypothèse est que si l'Église n'avait pas créé ces institutions, à l'intérieur desquelles le conflit social a pu se faire à une échelle civilisée, ça aurait pu déborder.


G-H.L - Ça aurait pu déborder. C'est parce que dans l'idée qui a créé ces institutions-là, il y avait la solution de libération, ah oui, il y avait ça. Je pense à Guy Rocher, Jeanne Sauvé, ils l'ont prouvé.

R.F. - La Révolution tranquille aurait donc pu ne pas être si tranquille que ça?

G-H.L - Ça n'a pas été tranquille, j'ai eu trois procès à Rome pour hérésie. À mon avis, après coup, le point de départ de la Révolution tranquille ça été la faculté des sciences sociales, quand on a dit : on ne fait pas de l'action catholique, on fonde une faculté de sciences sociales. Le point de départ c'est la faculté parce que l'on parlait de Liberté.

R.F. - Mais y a-t-il eu un risque que la Révolution tranquille soit une révolution violente?

G-H.L - Oui, il y avait un risque, mais c’était un risque calculé. J'étais sûr, moi, que l'affaire de la confessionnalité ça serait une grosse histoire. La confessionnalité des coopératives c’était l'endroit le plus facile à frapper, parce qu'il n'y a tout de même pas de patates ni de pains catholiques. Alors là ça été quelque chose, j'ai eu un procès à Rome pour hérésie : ils m'accusaient d'être positiviste, à cause de l'importance donnée aux sciences positives à la faculté, laïcisant, à cause de ma lutte pour la non-confessionnalité et neutralisant, pour la non-confessionnalité aussi. C’était les trois chefs d'accusation à mon procès à Rome.

R.F. - Comment ça se fait qu'ils ne vous ont pas abattu?

G-H.L - Mon ordre m'appuyait, les laïcs aussi : il existait un mouvement de fond au Québec, et mes anciens élèves. La faculté avait été fondée en 1938, en 1946 déjà mes anciens élèves étaient au gouvernement au moment de cette lutte pour la non-confessionnalité.

R.F. - Diriez-vous que les sciences sociales ont constitué l'organe pensant, conceptualisateur de la Révolution tranquille?

G-H.L - La faculté a été en effet pour beaucoup dans la Révolution tranquille, avec toutes ses notions de culte de la vérité et de la liberté. Ça a contribué beaucoup à la Révolution tranquille. Ce qui a contribué beaucoup aussi ce sont mes articles sur la non-confessionnalité des coopératives. Tout était catholique au Québec : les Dames de Sainte-Anne, etc. Alors quand ils ont vu ça, surtout Monseigneur Courchênes, ils se sont dit : « oh, oh, l'histoire de la confessionnalité, si c’est acceptée, on va avoir de grands problèmes d'Église », parce qu'ils contrôlaient tout à travers la confessionnalité. Alors, après ça, les syndicats catholiques sont devenus de vrais syndicats, laïcs. C’était tous de mes gars qui étaient à la tête de ces syndicats : Jean Marchand, et même le chanoine Pichette, l'aumônier, l'abbé Dion aussi. C’était tous de mes anciens élèves.

R.F. - Peut-on dire alors que les sciences sociales ont constitué l'idéologie de la Révolution tranquille?

G-H.L - Ah oui, ah oui, absolument! Une idéologie humaine, terrestre, pas une idéologie chrétienne. Ah oui, ah ça oui, absolument! Ces étudiants étaient partout. Il y a même eu au Québec sept recteurs d'Université qui ont été formés à la faculté, dont Alphonse Riverain qui a fondé tout le complexe global des Universités du Québec.

R.F. - Tous ces changements sociaux auraient-ils pas pu se faire autrement?

G-H.L - Ils devaient de toute façon être fait par des gens préparés.

R.F. - Mais la sociologie est-elle une vraie science, ou si elle ne fait que se présenter comme telle?

G-H.L - On forme des sociologues pour qu'ils deviennent des penseurs, des professeurs, et pour qu’ils inspirent l'action, qu’ils inspirent des acteurs.

Où s'achèvent les "excès" commis au nom de ces sciences-là
R.F. - N'empêche que dans les années '70, des excès ont été commis au nom de ces sciences-là.

G-H.L - Les sciences pures sont dans l'absolue, mais nous on est dans le relatif; maybe yes, maybe no. Aussitôt que vous tombez dans la morale, je vous donne la définition de St-Thomas d'Aquin : « variabilis veritas contigenio »; la vérité variable des choses de la vie. On n’a pas une certitude métaphysique, mais une certitude morale.

R.F. - Vous avez créé aussi une Université en Afrique, au Rwanda?

G-H.L - Où je suis resté dix ans. C'est l'Université nationale du pays, c'est le cerveau du pays.

R.F. - Que pensez-vous des insinuations qui ont plané à ce sujet; que vous étiez là-bas, qu'il y avait des massacres et que vous le saviez?

G-H.L - J'ai répondu à ça. Je n'avais pas connaissance de ces massacres. Ils ne venaient pas se massacrer devant nous. Je les ai appris comme tout le monde après coup et je suis allé dans les régions touchées pour les aider.

R.F. - Certains journalistes vous reprochaient de ne pas avoir quitté le pays.

G-H.L - Et laisser l’Université. C’est ridicule, parce que l'Université aurait passé entre les mains des massacreurs. Il fallait rester. Et puis je n'avais pas à me mêler de leurs affaires politiques. L’Université reste.

R.F. - Que pensez-vous de la société actuelle?

G-H.L - Je n’ai jamais été un bon prophète. Il faut que les gouvernements aient une politique de l'emploi beaucoup plus efficace. Quand on dit que maintenant l'économie peut croître et le chômage continuer à augmenter; c'est l'âge de la machine. Ça fait longtemps tout de même qu’on voit venir ça, les gouvernements s'en préoccupent plus ou moins.

R.F. - Quel rôle devraient jouer les sociologues aujourd'hui?

G-H.L - II y a beaucoup de gens de la faculté qui sont à la tête de mouvements très importants et qui jouent un rôle, pas en tant que sociologues, mais combien d'hommes d'affaires que je connais assez bien qui ont été formés à la faculté. Il faudrait aussi une bonne association des anciens de la faculté, ces eux qui devraient intervenir.

Richard FORTIN

Troisième cycle,

Sociologie, Université Laval

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Qu’ils soient persuadés que la question sociale et la science sociale ne sont pas nées d’hier ; que de tous temps l’Église et l’État, heureusement concertés, ont suscité dans ce but des organisations fécondes ; que l’Église, qui n’a jamais trahi le bonheur du peuple par des alliances compromettantes, n’a pas à se dégager du passé et qu’il lui suffit de reprendre, avec le concours des vrais ouvriers de la restauration sociale, les organismes brisés par la Révolution et de les adapter, dans le même esprit chrétien qui les a inspirés, au nouveau milieu créé par l’évolution matérielle de la société contemporaine : car les vrais amis du peuple ne sont ni révolutionnaires, ni novateurs, mais traditionalistes.


Pape saint Pie X - Encyclique E Supremi Apostolatus, 4 octobre 1903.