Le bref de Pie X est le sceau divin
apposé à une dévotion vieille de trois siècles chez nous et dont
l'origine se perd dans l'histoire ancienne. Les Relations des
Jésuites, à partir de 1636, racontent la cérémonie du « feu
de la Saint-Jean », que nos ancêtres ont apportée de France où
elle se pratique depuis sept cents ans au moins, puisqu'un auteur du
XIIIe siècle spécifie qu'on allumait alors les feux au milieu de la
nuit. Et la France elle-même a reçu cette fête de plus haut
encore: il semble, en effet, que nous ayons là une de ces coutumes
naïves que l'Église a conservées, baptisées, anoblies et tournées
à la gloire de Dieu. L'humanité primitive a toujours voué un culte
à la lumière. Aujourd'hui encore bien des peuplades adorent le
soleil comme la source de la vie. L'on faisait jadis du solstice
d'été un temps de réjouissance et d'hommage à la clarté alors
dans toute sa splendeur. Ce serait cette coutume assez grossière,
filtrée dans les civilisations des Perses, des Grecs, des Romains,
et passée chez les Gaulois, que le christianisme aurait épurée,
rehaussée, tournée en fête de la naissance de saint Jean-Baptiste
On fait de ce feu le symbole du
Précurseur: Non erat Me lux, sed ut testimonium perhiberet de
lumine. « Il n'était pas la lumière, mais il venait rendre
témoignage à la lumière. »
Les bûchers de la Saint-Jean
défrayèrent les joies populaires du moyen-âge, au point qu'en
France les illuminations devinrent un signe de réjouissance, et qu'à
l'annonce d'une bonne nouvelle on s'écriait à la ronde: « Faisons
les feux! » comme d'autres paradent, pavoisent ou crient.
En Nouvelle-France, c'est toute une
belle cérémonie religieuse qui a lieu le 23 juin au soir. Les
Relations des Jésuites nous montrent nos pères, à partir de
1636, observant un rite qui souffre peu de variantes. Voici pour
1646: « Le 23 se fit le feu de la Saint-Jean sur les 8 h. 30 du
soir. M. le gouverneur (Montmagny) envoya M. Tronquet pour sçavoir
si nous irions; nous allasmes le trouver, le P. Vimont et moi (P. Le
Jeune) dans le fort, nous allasmes ensemble au feu. M. le gouverneur
l'y mit et lors qu'il le mettait je chantai le Ut queant Iaxis
et l'oraison... On tira 5 coups de canon et on fit 2 ou 3 fois la
décharge de mousquets: nous en retournasmes entre 9 et 10. »
Parfois l'on chante le Benedictus, le Domine, salvum fac
regem ou le Te Deum. Chez les Iroquois du
Sault-Saint-Louis (Caughnawaga) [ndlr: aujourd'hui Kahnawake], la strophe latine chantée par les
blancs alterne avec la strophe iroquoise. Sous le régime anglais,
l'on continue d'une manière ou d'une autre à fêter la Saint-Jean
dans les paroisses et les côtes. Les Anciens Canadiens et les
Mémoires de Gaspé décrivent les fêtes d'il y a cent ou
cent-trente ans, et le docteur LaRue les feux de joie de l'île
d'Orléans, vers 1810. Après avoir chanté un salut, le curé, en
étole, bénissait le bûcher puis y mettait le feu en frappant le
briquet avec un caillou. Des miliciens tiraient du fusil, et la foule
criait. M. B. Suite rapporte avoir vu, en 1850, bien des feux entre
Québec et les Trois-Rivières: « Ces feux, sur le bord du fleuve,
se regardaient les uns les autres. Tout le pays était en fête. Au
collège de Nicolet, grand congé, pique-nique, promenade sur l'eau.
Partout la première baignade de la saison, dans le fleuve, en
bandes, aux éclats des chansons et de la gaieté générale. »
- R.P. Alexandre Dugré, S.J.