Oui, je le dis
bien. - La sainteté!
Le mot ni la chose n'effraient plus la jeunesse. Vous
commencerez par n'y pas renoncer. L'un des phénomènes les plus affligeants de
notre monde chrétien, c'est le rétrécissement indéfini, le recul effroyable des
frontières de la sainteté. Autrefois on la croyait accessible à tout le monde;
on la croyait le devoir, l'aspiration obligatoire de tout chrétien. Aujourd'hui
l'on ne sait plus à qui la réserver. La sainteté n'est pas le privilège
nobilitaire d'une caste chrétienne. Elle est la vocation normale de tout
chrétien. Vous saurez donc ne la pas sous-estimer. Le saint est un héros, le
plus grand des héros. L'homme qui a dit à tout son être, à toutes ses
puissances, à toutes ses passions frémissantes : « Vous n'accepterez
qu'une loi : la loi de l'ordre, de la raison, de la foi »; l'homme
qui a dit aux prestiges du monde : « Vous ne m'aurez pas; vous
ne m'arracherez aucune capitulation, aucune bassesse », celui-là est un
héros sans égal. Le saint est aussi le héros le plus bienfaisant. Ouvrez
l'histoire. Quand au fond des âmes, au fond d'une époque, vous apercevrez un
sillage profond, lumineux, réconfortant, c'est qu'un saint a passé là. Le
saint, vous l'édifierez tout d'abord sur son fondement naturel : une saine
nature morale. L'une des grandes misères canadiennes-françaises, c'est notre
trop fréquente infériorité ou pauvreté morale. Nous ne manquons pas de talent;
mais comme il est rare que le caractère soit de même hauteur que l'esprit!
Combien de nos hommes, les plus brillants, ont fini en ratés! On dirait qu'au
culte des vies en ligne droite, nous préférons le culte des lignes brisées. A
ce point de vue, la politique ressemble à un champ de carnage. Dans un pays
catholique et d'éducation catholique comme le nôtre, on cherche les hommes,
l'homme public qu'en exemple à la jeunesse, on puisse hisser sur un piédestal.
Vos rêves de
jeunesse connaissent parfois des échecs. Pour une large part ces échecs, ne
pourriez-vous les imputer à l'impréparation morale? Souvenez-vous : point
de grande vie sans ascèse. Tous nos avons à conquérir notre équilibre humain;
et, la conquête une fois faite, jusqu'à
la fin de notre vie nous avons à veiller sur nos positions. Or l'équilibre
humain est le prix d'une lutte pour le gouvernement de soi-même, pour la
maîtrise de soi, pour l'émancipation de l'esprit pour les droits de l'âme.
Prenez note que telle faculté existe qui s'appelle la volonté, et que, pour
accomplir sa fonction, elle exige de la culture, de l'entraînement, tout de
même que l'intelligence. Que, tous les jours, dans votre vie, il y ait des
rencontres avec l'effort, le sacrifice. Faites-vous une personnalité bien unifiée,
bien centrée. Entre la tête et le cSŵr, n'admettez point de divorce. J'entends
par là, entre autres exemples, un esprit correct, de droiture absolue en
matière sociale, nationale, mais, au chapitre des mSŵrs, facile aux
capitulations. La vraie, la forte personnalité est quelque chose d'un; et l'on
n'y admet d'illogisme d'idées ou de conduite qu'au péril du tout. Lisez les
grandes vies, vies des grands chrétiens, vies des saints; que toujours, sur
votre table de travail, il y en ait une à portée de la main. Tous et tout le
temps, nous avons besoin de ce tonique moral.
Je ne vous
l'apprends point toutefois : pour le développement humain, le ferment
tout-puissant, c'est la sève surnaturelle. Vous êtes sévères pour vos aînés.
C'est votre droit de les trouver petits, pourvu que vous acceptiez le devoir
d'être plus grands qu'eux. Permettez-moi de vous poser cette unique
question : que vaut votre préparation à la vie? Etudiez-vous mieux que vos
aînés? Priez-vous mieux qu'eux? D'un mot, vous formez-vous mieux qu'eux? Vous
dites : « Nous voulons donner la jeunesse au Christ! » Vous
proclamez le Christ, « votre frère, votre chef! » Mots magnifiques,
mots féconds, s'ils expriment autre chose qu'un emballement verbal. Au vrai,
quelle est votre vie profonde, votre vie surnaturelle? De grâce, ne concevez
point la vie chrétienne comme un roulement, un caporalisme, même consenti,
librement accepté, de dévotions ou de pratiques religieuses. Dévotions et
pratiques sont utiles, même nécessaires. D'une part, elles sont l'hommage du
corps et de l'âme à Dieu; de l'autre, la prière, la pratique des sacrements,
par exemple, sont porteuses de vie, destinées à entretenir, à développer la
vie. L'essentiel cependant, vous le voyez, c'est la vie, c'est de posséder la
vie; et la vie, c'est l'état de grâce
Faites-nous des
saints.
Oui, je le dis
bien. - La sainteté! Le mot ni la chose n'effraient plus la jeunesse. Vous
commencerez
par n'y pas renoncer. L'un des phénomènes les plus affligeants de notre monde chrétien, c'est le rétrécissement indéfini, le recul effroyable des frontières de la sainteté. Autrefois on la croyait accessible à tout le monde; on la croyait le devoir, l'aspiration obligatoire de tout chrétien. Aujourd'hui l'on ne sait plus à qui la réserver. La sainteté n'est pas le privilège nobilitaire d'une caste chrétienne. Elle est la vocation normale de tout chrétien. Vous saurez donc ne la pas sous-estimer. Le saint est un héros, le plus grand des héros. L'homme qui a dit à tout son être, à toutes ses puissances, à toutes ses passions frémissantes : « Vous n'accepterez qu'une loi : la loi de l'ordre, de la raison, de la foi »; l'homme qui a dit aux prestiges du monde : « Vous ne m'aurez pas; vous ne m'arracherez aucune capitulation, aucune bassesse », celui-là est un héros sans égal. Le saint est aussi le héros le plus bienfaisant. Ouvrez l'histoire. Quand au fond des âmes, au fond d'une époque, vous apercevrez un sillage profond, lumineux, réconfortant, c'est qu'un saint a passé là. Le saint, vous l'édifierez tout d'abord sur son fondement naturel : une saine nature morale. L'une des grandes misères canadiennes-françaises, c'est notre trop fréquente infériorité ou pauvreté morale. Nous ne manquons pas de talent; mais comme il est rare que le caractère soit de même hauteur que l'esprit! Combien de nos hommes, les plus brillants, ont fini en ratés! On dirait qu'au culte des vies en ligne droite, nous préférons le culte des lignes brisées. A ce point de vue, la politique ressemble à un champ de carnage. Dans un pays catholique et d'éducation catholique comme le nôtre, on cherche les hommes, l'homme public qu'en exemple à la jeunesse, on puisse hisser sur un piédestal.
par n'y pas renoncer. L'un des phénomènes les plus affligeants de notre monde chrétien, c'est le rétrécissement indéfini, le recul effroyable des frontières de la sainteté. Autrefois on la croyait accessible à tout le monde; on la croyait le devoir, l'aspiration obligatoire de tout chrétien. Aujourd'hui l'on ne sait plus à qui la réserver. La sainteté n'est pas le privilège nobilitaire d'une caste chrétienne. Elle est la vocation normale de tout chrétien. Vous saurez donc ne la pas sous-estimer. Le saint est un héros, le plus grand des héros. L'homme qui a dit à tout son être, à toutes ses puissances, à toutes ses passions frémissantes : « Vous n'accepterez qu'une loi : la loi de l'ordre, de la raison, de la foi »; l'homme qui a dit aux prestiges du monde : « Vous ne m'aurez pas; vous ne m'arracherez aucune capitulation, aucune bassesse », celui-là est un héros sans égal. Le saint est aussi le héros le plus bienfaisant. Ouvrez l'histoire. Quand au fond des âmes, au fond d'une époque, vous apercevrez un sillage profond, lumineux, réconfortant, c'est qu'un saint a passé là. Le saint, vous l'édifierez tout d'abord sur son fondement naturel : une saine nature morale. L'une des grandes misères canadiennes-françaises, c'est notre trop fréquente infériorité ou pauvreté morale. Nous ne manquons pas de talent; mais comme il est rare que le caractère soit de même hauteur que l'esprit! Combien de nos hommes, les plus brillants, ont fini en ratés! On dirait qu'au culte des vies en ligne droite, nous préférons le culte des lignes brisées. A ce point de vue, la politique ressemble à un champ de carnage. Dans un pays catholique et d'éducation catholique comme le nôtre, on cherche les hommes, l'homme public qu'en exemple à la jeunesse, on puisse hisser sur un piédestal.
Vos oeuvres de
jeunesse connaissent parfois des échecs. Pour une large part ces échecs, ne
pourriez-vous les imputer à l'impréparation morale? Souvenez-vous : point
de grande vie sans ascèse. Tous nos avons à conquérir notre équilibre humain;
et, la conquête une fois faite, jusqu'à
la fin de notre vie nous avons à veiller sur nos positions. Or l'équilibre
humain est le prix d'une lutte pour le gouvernement de soi-même, pour la
maîtrise de soi, pour l'émancipation de l'esprit pour les droits de l'âme.
Prenez note que telle faculté existe qui s'appelle la volonté, et que, pour
accomplir sa fonction, elle exige de la culture, de l'entraînement, tout de
même que l'intelligence. Que, tous les jours, dans votre vie, il y ait des
rencontres avec l'effort, le sacrifice. Faites-vous une personnalité bien
unifiée, bien centrée. Entre la tête et le coeur, n'admettez point de divorce.
J'entends par là, entre autres exemples, un esprit correct, de droiture absolue
en matière sociale, nationale, mais, au chapitre des moeurs, facile aux
capitulations. La vraie, la forte personnalité est quelque chose d'un; et l'on
n'y admet d'illogisme d'idées ou de conduite qu'au péril du tout. Lisez les
grandes vies, vies des grands chrétiens, vies des saints; que toujours, sur
votre table de travail, il y en ait une à portée de la main. Tous et tout le
temps, nous avons besoin de ce tonique moral.
Je ne vous
l'apprends point toutefois : pour le développement humain, le ferment
tout-puissant, c'est la sève surnaturelle. Vous êtes sévères pour vos aînés.
C'est votre droit de les trouver petits, pourvu que vous acceptiez le devoir
d'être plus grands qu'eux. Permettez-moi de vous poser cette unique
question : que vaut votre préparation à la vie? Etudiez-vous mieux que vos
aînés? Priez-vous mieux qu'eux? D'un mot, vous formez-vous mieux qu'eux? Vous
dites : « Nous voulons donner la jeunesse au Christ! » Vous
proclamez le Christ, « votre frère, votre chef! » Mots magnifiques,
mots féconds, s'ils expriment autre chose qu'un emballement verbal. Au vrai,
quelle est votre vie profonde, votre vie surnaturelle? De grâce, ne concevez
point la vie chrétienne comme un roulement, un caporalisme, même consenti,
librement accepté, de dévotions ou de pratiques religieuses. Dévotions et
pratiques sont utiles, même nécessaires. D'une part, elles sont l'hommage du
corps et de l'âme à Dieu; de l'autre, la prière, la pratique des sacrements,
par exemple, sont porteuses de vie, destinées à entretenir, à développer la
vie. L'essentiel cependant, vous le voyez, c'est la vie, c'est de posséder la
vie; et la vie, c'est l'état de grâce – participation de la vie même de Dieu;
possession, dès maintenant, de la vie qui sera la nôtre dans l'au-delà. Pas de
coupure, en effet, entre la vie du chrétien ici-bas et sa vie dans l'éternité;
pas d'autre coupure que celle qui va du germe à son épanouissement.
Comme je vous
souhaite d'apprendre, tout d'abord, en quel merveilleux courant vital, vous
êtes jetés, vous vous remuez, vous grandissez! Revenez à quelques-unes des
grandes, des riches notions théologiques familières aux plus humbles chrétiens
des premiers âges, à la notion en particulier du corps mystique du Christ. Le
Christ, tête, cerveau d'un corps dont nous sommes les membres; nous,
c'est-à-dire l'église des triomphants, l'église des souffrants, l'église des
militants; nous, chacun de nous, liés à cette communion des saints, à cette
fraternité de vivants; mais liés d'abord au Christ, contre en quelque sorte
d'innervation, d'où s'élance, à travers tout le corps mystique, la vie divine,
comme dans l'arbre, la sève ardent, surabondante, projette, du tronc aux
branches, son flux vital. Revenez à cette autre notion superbe : la
présence de la Trinité dans le chrétien vivant. Vous êtes ambitieux de forte
personnalité, d'un agrandissement indéfini de votre être, de votre vie.
Savez-vous assez que l'état de grâce vaut à votre âme cette merveille : l'habitation
de la Trinité : une habitation, ne présence spéciale, toute autre que la
présence générale de Dieu dans les choses? Mais alors quel dynamisme immense,
tout-puissant, presque effrayant, est là, en vous, à votre disposition? Car ce
Dieu-Trinité ne réside pas dans votre âme à l'état inerte, passif. Il est là ce
qu'il est, ce qu'il ne peut pas ne être : l'essentiellement actif, vivant.
Oui, jeunes catholiques, vers cette cime peut s'envoler votre rêve de grandeur.
Penser, agir, vivre, dans la foi, dans la certitude que l'on porte en soi ce
dynamisme divin, qu'il n'y a qu'à le laisser agir pour s'acheminer vers la plus
parfaite rectitude morale, reproduire les mœurs divines, s'amplifier et se
suramplifier dans tous les sens. Etre de la race de Dieu, être à la lettre des
fils de Dieu, tels sont vos quartiers de noblesse. Combien l'on comprend alors
la justesse du mot de Léon Bloy : « La grande tristesse, c'est
de n'être pas des saints! » Savoir ce que c'est que la grâce, ce qu'elle peut
faire de nous, ce qu'elle nous peut donner d'accomplir, et refuser la sainteté,
c'est la plus illogique, la plus triste renonciation à la grandeur humaine;
c'est le refus du plus magnifique emploi de sa vie, du plus beau destin
personnel.
Donnez-nous des
hommes et des saints. Et espérez. Pas de chevaliers à la triste figure.
Espérez. Notre
peuple est bien décevant, bien malade. Il n'est pas atteint si gravement que
l'étaient certains peuples aujourd'hui en voi de renaissance. Nous avons à
notre disposition toutes les richesses de la culture française, toutes les
ressources de notre catholicisme. Nous pouvons aussi compter sur la Providence,
car notre péril est extrême. On me dit parfois : « la
Providence, le Portugal l'a attendue trois cents ans. » Isolé, en bordure
de l'océan, voisin d'une civilisation de même essence que la sienne, le
Portugal pouvait attendre. Nous ne pouvons faire comme lui, logés où nous le
sommes, menacés comme nous le sommes.
Moi-même
j'espère, parce que vous êtes là. Souvent ma génération aura pris pour des
aubes de résurrection ce qui n'était que des feux de paille. Le mouvement
actuel de la jeunesse me paraît plus étendu, plus profond qu'il n'a jamais été.
Travaillez; formez-vous; unissez-vous. Je vous le répète encore une fois :
les idées ne marchent pas toutes seules; elles marchent si on les porte; on les
porte par la parole, par l'imprimé, les livres, par l'action, par la prière.
Portez-les loin; portez les persévéramment. Pensez parfois à la légende du
Chevalier des Croisades oublié en faction aux portes d'une citadelle d'Orient
et retrouvé, deux cents ans plus tard, pétrifié, à son poste.
Abbé Lionel
Groulx, Faites-nous des Hommes – Préparations des jeunes à leurs tâches
prochaines. Montréal, 1938, pp. 25 à 32.