En attendant, jeunes gens, je vous laisse ce mot d'ordre :
tous tant que nous sommes, travaillons dans le solide. Le patriotisme ne tient
pas lieu de tout. C'est un sentiment ; c'est une idée créatrice ; c'est un
principe d'action. Il faut empêcher qu'il ne reste dans l'esprit qu'à l'état
spéculatif, qu'il ne soit qu'un mot sonore, bon tout au plus pour gargarisme
oratoire. Il faut qu'il agisse, qu'il crée les institutions, les œuvres qui le
feront durer. Un patriotisme inactif se détruit par son inertie même.
Ne passons pas notre temps à dénoncer les Anglais. Essayons
plutôt d'apprendre, ce sera plus pratique, à nous aimer et à nous entr'aider.
Il y a des gens pour qui la « bonne entente » semble le remède à tous les maux.
Cherchons les alliances ; ne repoussons pas celles qui s'offrent avec
sincérité. Mais ne mettons pas tout notre effort ni même notre principal effort
à chercher des alliances. Un arbre ne vit point des étais dont on l'entoure,
mais de la vigueur de sa sève. Un peuple vit par la structure physique, morale,
qu'il a su se donner, et d'abord parce qu'il garde intacte sa volonté de vivre
et qu'il se sert de sa vie pour organiser sa vie. Travaillons pendant que nous
sommes vivants, nous rappelant qu'il faut moins de vie pour vivre que pour
ressusciter.
Jeunes gens, il faut des chefs. Nul peuple ne vit sans
chefs. Notre vieille classe aristocratique de l'ancien régime est morte. La
bourgeoisie, le clergé portent la responsabilité de notre avenir. Si nous
succombons, on ne dira pas : « Le peuple a trahi sa race, son idéal national ».
On dira : « La bourgeoisie, le clergé ont trahi le peuple». Mais un chef, c'est
d'abord un homme. Soyez donc des hommes, pas des fantômes d'homme, pas des
moitiés d'homme, qui ne sont hommes, du reste, que la moitié de leur vie, et qui passent l'autre moitié à faire
oublier qu'ils ont pu l'être. Souvenez-vous, toutefois, qu'un homme ne se fait
qu'au nom d'une ascèse. La virilité ne nait pas toute seule. Elle ne se crée
pas en un moment ; elle n'est pas en vente sur le marché.
Elle se forge lentement et par nul autre forgeron que
soi-même. Ayez le culte de la discipline, de la volonté, du renoncement. Soyez,
par dessus tout, des chrétiens. Vous ne serez grandement hommes que si vous
êtes grandement chrétiens. S'il arrive qu'un jour les pires déboires et les
pires déceptions vous assaillent ; que la tentation vous vienne comme elle est
venue à tant d'autres, de lâcher manche et cognée, où trouverez-vous lumière et
courage, pour continuer à vivre votre vie en ligne droite, sans brisure ni
reprise, si ce n'est, jeunes gens, en vous repliant sur vos positions de foi ?
En ces heures de tentation, point de salut pour personne qui ne parvient à se
convaincre qu'il faut toujours faire ce qui doit être fait, qu'il faut suivre
les dictées de sa conscience, rester au service de la vérité, du droit, de la
justice, même si cela paie moins que le reniement ou la rentrée chez soi.
Faites-vous ces convictions. Forgez en vous courageusement l'homme et le
chrétien. Persuadez-vous que la vie d'ici-bas se soude à l'autre comme un
commencement à une fin, l'aube au couchant.
Et vous apprendrez qu'il n'y a pas lieu de craindre pour
notre avenir de Français et de catholiques parce que la vie n'a jamais trompé
les hommes de foi.
-Abbé Lionel Groulx