samedi 28 mars 2015

Notre conduite

Dans le firmament où figurent les grands de notre race, le chanoine Lionel Groulx y tient une place d'importance. Endroit prépondérant car la résistance canadienne-française lui doit immensément. Comme il l'a lui-même déclaré, toute sa vie il voulut faire une œuvre doctrinale pour les Canadiens-français, les sortir de la mystique étroite de la langue – où tant de clowns de l'Assemblée nationale ont fait retomber notre province -, afin que nous comprenions que notre problème était, et est toujours, beaucoup plus imposant. De ce maître d'un âge qui semble être révolu, nous voudrions exhumer cet extrait de la conférence titré Confiance et espoir de l'an 1944. S'il y a une chose qui nous apparaît bien évidente dans la constante de notre histoire, c'est que comme la foi catholique a protégé nos ancêtres de l'assimilation, seule elle pourra nous éclairer et nous sortir du péril. À l'heure de la luxure, des modes efféminés, et du matérialisme américain, tâchons de conserver nos repères.



En attendant, jeunes gens, je vous laisse ce mot d'ordre : tous tant que nous sommes, travaillons dans le solide. Le patriotisme ne tient pas lieu de tout. C'est un sentiment ; c'est une idée créatrice ; c'est un principe d'action. Il faut empêcher qu'il ne reste dans l'esprit qu'à l'état spéculatif, qu'il ne soit qu'un mot sonore, bon tout au plus pour gargarisme oratoire. Il faut qu'il agisse, qu'il crée les institutions, les œuvres qui le feront durer. Un patriotisme inactif se détruit par son inertie même.

Ne passons pas notre temps à dénoncer les Anglais. Essayons plutôt d'apprendre, ce sera plus pratique, à nous aimer et à nous entr'aider. Il y a des gens pour qui la « bonne entente » semble le remède à tous les maux. Cherchons les alliances ; ne repoussons pas celles qui s'offrent avec sincérité. Mais ne mettons pas tout notre effort ni même notre principal effort à chercher des alliances. Un arbre ne vit point des étais dont on l'entoure, mais de la vigueur de sa sève. Un peuple vit par la structure physique, morale, qu'il a su se donner, et d'abord parce qu'il garde intacte sa volonté de vivre et qu'il se sert de sa vie pour organiser sa vie. Travaillons pendant que nous sommes vivants, nous rappelant qu'il faut moins de vie pour vivre que pour ressusciter.

Jeunes gens, il faut des chefs. Nul peuple ne vit sans chefs. Notre vieille classe aristocratique de l'ancien régime est morte. La bourgeoisie, le clergé portent la responsabilité de notre avenir. Si nous succombons, on ne dira pas : « Le peuple a trahi sa race, son idéal national ». On dira : « La bourgeoisie, le clergé ont trahi le peuple». Mais un chef, c'est d'abord un homme. Soyez donc des hommes, pas des fantômes d'homme, pas des moitiés d'homme, qui ne sont hommes, du reste, que la moitié de leur  vie, et qui passent l'autre moitié à faire oublier qu'ils ont pu l'être. Souvenez-vous, toutefois, qu'un homme ne se fait qu'au nom d'une ascèse. La virilité ne nait pas toute seule. Elle ne se crée pas en un moment ; elle n'est pas en vente sur le marché.

Elle se forge lentement et par nul autre forgeron que soi-même. Ayez le culte de la discipline, de la volonté, du renoncement. Soyez, par dessus tout, des chrétiens. Vous ne serez grandement hommes que si vous êtes grandement chrétiens. S'il arrive qu'un jour les pires déboires et les pires déceptions vous assaillent ; que la tentation vous vienne comme elle est venue à tant d'autres, de lâcher manche et cognée, où trouverez-vous lumière et courage, pour continuer à vivre votre vie en ligne droite, sans brisure ni reprise, si ce n'est, jeunes gens, en vous repliant sur vos positions de foi ? En ces heures de tentation, point de salut pour personne qui ne parvient à se convaincre qu'il faut toujours faire ce qui doit être fait, qu'il faut suivre les dictées de sa conscience, rester au service de la vérité, du droit, de la justice, même si cela paie moins que le reniement ou la rentrée chez soi. Faites-vous ces convictions. Forgez en vous courageusement l'homme et le chrétien. Persuadez-vous que la vie d'ici-bas se soude à l'autre comme un commencement à une fin, l'aube au couchant.

Et vous apprendrez qu'il n'y a pas lieu de craindre pour notre avenir de Français et de catholiques parce que la vie n'a jamais trompé les hommes de foi.

-Abbé Lionel Groulx